Magazine Journal intime

Prendre son gaz égal

Par Pierre-Léon Lalonde
Après quelques semaines sur la brèche, j'étais impatient de retrouver la route, de retrouver la nuit.
Je suis arrivé au garage juste après l'orage. Une grosse branche tombée venait tout juste de démolir un des taxis et le patron tempêtait contre les éléments. Comme d'habitude pour souligner mon assiduité, il m'a loué un taxi avec plus de 250 000 kilomètres dans les essieux. Les amortisseurs n'en avaient que le nom et le siège sur lequel je devais passer les prochaines 12 heures était complètement affaissé. Avant même de démarrer, je savais que la nuit et la semaine seraient longues.
Mais j'ai quand même pris la route, rempli de bonnes intentions. Elles se sont un peu atténuées lorsque j'ai vu le prix de l'essence. Mais juste un peu plus loin, un bras levé bien haut m'a redonné espoir. Ça n'a pas été long que je me suis retrouvé dans un bouchon causé par des travaux. Je n'en avais pas encore fait le recensement. Mon client a été conciliant, mais a terminé la fin de son trajet à pied. Moi je le commençais sur le mauvais.
Avec le gaz aussi cher, les postes d'attente ont pris tout leur sens. Mes stands de prédilections étaient la plupart du temps surchargés et les appels se faisaient attendre. Avec le beau temps, les gens marchent, sortent leurs vélos, leurs patins, disons que ça ne se bousculait pas trop aux portes du taxi. Les heures étaient longues et la patience mise à rude épreuve. D'autant plus que mon vieux taxi laissait entrer dans l'habitacle de terribles émanations. Pendant que je roulais à vide, je faisais le plein de monoxyde de carbone. Je peux dire que je commençais à être plutôt gazé.
Je me doutais que les conditions étaient loin d'être les meilleures pour mon retour. Pourtant, j'étais content de retrouver Montréal et son monde. Heureux d'être de retour dans ses artères et d'en sentir le coeur battre. Heureux de retrouver mes oiseaux de nuit et de reprendre la conversation où je l'avais laissée. Et quel bonheur après une longue nuit de voir le jour qui se lève. Chaque fois, c'est comme le début d'une belle histoire d'amour...
Je ne risque pas de faire fortune durant les prochaines semaines. Mais j'ai décidé de ne pas m'énerver, de laisser les bons temps rouler et de prendre mon gaz égal.

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