François Hollande a gagné. Il a brillamment remporté, et contre toute attente, une élection que d'aucuns lui prédisaient impossible. "Flamby", le mou, le flou, le "capitaine de pédalo" a évincé son plus préparé des rivaux, Nicolas Sarkozy. Quatre ans plus tard, jour pour jour, il emboite le pas à Sarkozy.
Il ne lui reste plus qu'à dissoudre l'Assemblée sans attendre, et tenter d'éviter le désastre.
Les souvenirsNous étions le 6 mai 2012. Les cœurs étaient légers, les espoirs étaient grands, la tâche était immense. Hollande a gagné parce qu'il était le mieux à même de vaincre l'ancien monarque, cet héritier de la mafia des Hauts-de-Seine, un homme agité mais immobile, qui par ses décisions et son comportement amena la France proche de la ruine et de la honte. Quatre ans après cette victoire-là, obtenue à l'arrachée et avec plaisir, il faut se souvenir de ce moment.
"C'était la joie. Elle est toujours très forte, très grave, quand on gagne une élection. Nicolas Sarkozy avait été défait, hier soir. Sarkofrance va changer. La Sarkofrance allait disparaître. La droite pouvait renaître, mais il fallait licencier Nicolas Sarkozy ce soir." Sarkofrance, saison 1, 7 mai 2012.Aujourd'hui, il faut se souvenir de ce jour-là. Surtout chez celles et ceux qui sont (encore) à l'Elysée.
"Plus on me dit que c'est impossible, plus je me bats. Hollande rira bien qui rira le dernier." Anne Roumanoff, le 1er mai 2016.Quatre ans plus tard, Hollande est face à son propre bilan. Les discours gauchisants qui avaient mobilisé la gauche, les clins d'oeil au centre heurté par la dérive frontiste de Sarkozy, ont été oubliés par leurs promoteurs de l'époque, niés dans les actes, effacés dans les discours.
A gauche, c'est le ras-le-bol, la déception ou l'indifférence.
Il y a un air de déjà vu. Pour partie, c'est normal. L'exercice du pouvoir associe malheureusement, parfois ou souvent, les titulaires de la présidence. Certes, Hollande ne commet pas l'affront d'un Sarkozy d'une centaine de meetings filmés par an sur des thématiques parfois improbables. Il ne convoque pas (encore) des salles entières sur les frais de la présidence sans avouer sa candidature. Mais sa fin de mandat ressemble quand même furieusement à la précédente.
La lucidité tardive
Lucide sur les risques de la défaite en 2017, l'Elysée place ses proches. Comme lors du précédent quinquennat, les conseillers élyséens sont ainsi exfiltrés dans le privé, ou le public, pour des jobs moins précaires à l'approche du Grand Scrutin.
Comme lors de la précédente fin de mandat, le titulaire cherche aussi à parfaire son bilan à la va-vite. On connaît cet "esprit de panique", où l'on réalise que le temps a filé sans crier gare et que l'heure des comptes (difficiles) approche.
Hollande s'autorise même quelques éclairs de lucidité. Par exemple, il s'oppose enfin au traité transatlantique. Cela fait trois ans que l'Europe négocie ce TAFTA (ou TTIP) dans le plus grand secret. Trois ans que des parlementaires, des ONG, des syndicats réclament débats et transparence. Trois ans que le gouvernement est sourd. Trois ans que le PS se réfugie derrière le mandat de négociation accordé à la Commission.
Mardi, le président explique donc que la France allait finalement refuser de conclure qui sent l'arnaque, la fin de l'Europe et le libre-échangisme débridé. Ce soudain revirement n'est du qu'aux révélations de Greenpeace. La branche hollandaise (sic!) de l'association écologiste a publié les deux tiers des documents de négociation du traité. Des documents confidentiels sur ces discussions si secrètes alors qu'elles devraient être si publiques, et qui révèlent l'ampleur d'une déréglementation généralisée.
Répétons la séquence: Hollande se bouge parce que les révélations de Greenpeace dérangent. A Bruxelles, on s'en fiche visiblement.
Comme Sarkozy en 2011, Hollande se transforme en "président-candidat". Il reprend des accents de campagne dans tous ses discours, dans chacune de ses postures. Même s'il s'en défend, même s'il promet, jure et crache qu'il travaillera "jusqu'au bout", il ne pense qu'à sa réélection.
Mardi, la situation devient cocasse. Au théâtre du Rond-Point, à l'occasion du 80e anniversaire de l'avènement du Front populaire, François Hollande a des accents gauchistes, socialistes et "blumistes". Quel autre intérêt de venir célébrer cet anniversaire si ce n'est pour le symbole ?Sur place, Hollande se livre à un long bilan flatteur de son action depuis 2012. Il faut se pincer pour le croire. Les mots sont vidés de leur sens, les formules sont creuses.
Mais au même moment, à l'Assemblée, Myriam El Khomri part au front et défend son texte de réforme du droit du travail: avec 4983 amendements, le texte a frôlé le record des 5000 de la loi sur le mariage gay. Face à elle, la droite, trop heureuse d'expliquer et démontrer que Hollande est un faux libéral, se régale. Et une majorité de gauche, jusqu'aux frondeurs du parti socialiste, tentent de convaincre ce gouvernement aux abois que l'inversion de la hiérarchie des normes est une incroyable mesure réactionnaire. Pourquoi faut-il expliquer à ce gouvernement "socialiste" que les "simples salariés serviles" sont mieux défendus/protégés au niveau des branches que des entreprises ?
"Les accords d’entreprise primeraient sur ceux de branche, sur les accords nationaux et la loi, qui se contenteraient d’établir les normes minimales. Cela revient à permettre aux employeurs de prendre des décisions au niveau de l’entreprise, là où les rapports de force sont plus déséquilibrés (en défaveur des salariés) qu’au niveau des branches ou au niveau interprofessionnel. D’autant que la possibilité accrue de recourir à un référendum d’entreprise risque d’y affaiblir davantage les syndicats." Les économistes atterrés, 28 mars 2016.Un député socialiste, rapporteur du texte, concède qu'il leur manque au moins une quarantaine de voix pour faire passer le texte. La menace du 49-3, c'est-à-dire le vote bloqué, est à nouveau agitée. Faudrait-il dissoudre enfin l'Assemblée, et prendre acte du changement des rapports de forces ? Sans doute, certainement, ... si au moins le mode de scrutin proposait autre chose qu'une victoire à 80% avec 40% des suffrages à peine.
Le déni
Sarkozy était le président des riches. Hollande est celui des patrons. Au Théâtre du Rond-point, il célèbre Blum, Mitterrand, Jospin et le Front pop. Sur l'estrade, un panneau "la gauche au pouvoir". Personne n'était là pour rappeler que la "gauche au pouvoir" version 2016 signifiait donc la réduction de la protection des salariés: la réforme des retraites, les franchises médicales, l'ANI, la libéralisation du travail le dimanche, et maintenant la loi El Khomri. Il fallut même des semaines de manifestations et de "Nuit Debout" pour faire retirer d'autres mesures réactionnaires et scélérates.
Le plus terrifiant fut d'écouter Hollande considérer que la loi El Khomri était digne de l'héritage des réformes du Front Populaire ou des lois Auroux de 1982.
"La démocratie sociale, j’évoquais les conventions collectives de 1936, mais aussi le paritarisme pour la question des régimes sociaux, au lendemain de la guerre, les lois Auroux, en 1982. Dans le même mouvement, depuis 2012, la Parlement a inscrit plusieurs accords nationaux interprofessionnels, modernisé le dialogue social, une loi, dite loi REBSAMEN, l’a fait l’année dernière et aujourd'hui le projet de loi présenté par Myriam EL KHOMRI vise à donner une plus large place au dialogue social dans le cadre des entreprises." François Hollande, le 3 mai 2016
Fallait-il avoir ce mépris pour l'Histoire ?
Mais ce n'était pas tout. Sur cette estrade, dans cet hommage si symbolique, Hollande livre quelques cadeaux qui font rager une droite amnésique qui a oublié comment elle s'est couchée devant les outrances, les mensonges puis les cadeaux de dernière minute de son ancien monarque: Hollande promet des baisses d'impôts pour les plus modestes... pour 2017. Mais "en fonction des marges et seulement en fonction des marges dont nous pourrons disposer".
Au Théâtre du Rond-point, Hollande explique que "la Gauche n’a jamais accédé au pouvoir par une mer de tranquillité, sous un ciel de sérénité et par temps calme et c’est parce la Nation vit des épreuves qu’elle y arrive, la Gauche au pouvoir." Il n'évoque pas les gaz lacrymogènes, les bavures policières, les dérapages de l'état d'urgence. Il n'évoque pas non plus la déchéance de nationalité.
Il se défend mal d'un revirement, il refuse de reconnaître ce ras-le-bol, cette déception, cette lassitude qui frappent jusqu'à ses plus proches soutiens.
"Il fallait d’abord redresser pour ensuite redistribuer" clame-t-il. Mais de quelle "redistribution" parle-t-il ? Du "plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale" lancé en 2013 par Jean-Marc Ayrault, dont le gouvernement se félicite sur son site que "58% des mesures décidées alors ont été réalisées" ? Ce plan de lutte contre la pauvreté coûte 6% du Pacte de responsabilité.
A chacun ses priorités...
Hollande célèbre Blum, quand Macron applaudit Jeanne d'Arc. Ne riez pas. C'est la reconquête ! Dimanche, le ministre défile dans les rues d'Orléans en l'honneur de la Pucelle. Une partie de la droite locale boycotte. Marine Le Pen vient de lâcher le symbole. Lors du 1er mai, la présidente du FN a fait son show militant ailleurs.
Le jeune ministre aurait profité d'un déplacement officiel à Londres pour lever 12 millions d'euros pour son propre micro-parti. C'est honteux, mais son entourage dément.
Mardi, à l'Assemblée, Emmanuel Macron agite la menace d'une loi de plafonnement des salaires des patrons si le PDG de Renault, Carlos Ghosn, dont l'Assemblée Générale a refusé l'augmentation de rémunération la semaine précédente, ne renonce pas effectivement à ce bonus. Mais le trop jeune ministre ne rappelle pas que ces bonus sont justement faramineux grâce à l'allègement de la fiscalité sur l'attribution d'actions gratuites qu'il a lui-même mis en place.
La boucle est bouclée, l'heure du bilan est proche.
Sarkozy n'a pas changé.
Ami sarkozyste, ne change pas.