Lorsque vous êtes invités à une table ronde proposant une thématique aussi ouverte - Afrique génération complexée - vous êtes en droit d’avoir quelques motifs d’inquiétude. Entendons-nous bien, je parle d’inquiétude, mais je devrais plutôt parler d’appréhension. Car avec un tel sujet, s'il est mal modéré, la discussion peut prendre des pistes multiples et confuses. Heureusement, Serge Samba a réalisé une excellente modération. Trois mots trop larges dans leurs définitions respectives. Afrique : 54 nations. De nombreuses diasporas disséminées entre l’Europe et les Amériques. Trois postes d’observation possibles… Génération : Nouveau problème. De quelle génération parle-t-on ? La mienne ? Celle des jeunes quarantenaires qui se sont investis depuis plusieurs années dans le web et les réseaux sociaux avec une posture plus ou moins militante ? Celle des jeunes des jeunes qui animent des thinktanks comme l’Afrique des idées et choisissent de regarder l’Afrique avec un regard propre dénué d’affliction et de fatalisme, projetant un discours afro-responsable sur l'objet de leurs observations. Ils ont entre 20 et 30 ans et c’est une autre génération… Décomplexée. Là encore, une grenade dégoupillée. Car trop souvent, quand il est question du continent Africain, complexe, domination, infériorité sont des mots qui viennent peupler la discussion.
Bon, tout d’abord l’affiche a été de mon point de vue intéressante. Avec Rokhaya Diallo, journaliste politique sur RTL, militante antiraciste reconnue. Belle et brillante, cette jeune française d’origine sénégalaise vient de sortir un ouvrage intitulé Afro !et qui revient sur le sempiternel débat sur le cheveu crépu, résistant, point de concentration de chocs identitaires pour les afrodescendants en Occident. Fatou Kandé (sénégalaise également), royalement installée dans son siège, est auteure, cinéaste et surtout elle propose un ouvrage extrêmement intéressant sur l’histoire du hip-hop au Sénégal. Joss Doszen et moi incarnions les observateurs du monde littéraire par nos concepts différents Les palabres autour des Arts, le blog collaboratif Chez Gangoueus ainsi que mes émissions littéraires Les lectures de Gangoueus.
Serge Samba a très bien lancé les échanges en cantonnant les intervenants à émettre leur opinion sur le sujet à partir de leurs postes d’observation respectifs. Ce qui a permis à Rokhaya Diallo d’émettre des analyses sur son expérience de journaliste dans un milieu où elle n’était (n’est) pas toujours attendue, mais justement qu’elle a abordé avec ses codes à elle et sa diversité. Sa coupe de cheveu en devient un marqueur identitaire fort, voire politique. Et c’est là toute l’intelligence de Rokhaya Diallo de poser le débat sur un sujet extrêmement conflictuel (il n’y a qu’à voir les forums sur les traitements capillaires avec ses deux fronts : Pony vs Nappy) …
Joss Doszen qui anime le collectif des Palabres autour des Arts a souligné qu’à titre personnel il se sentait bien dans ses baskets et qu’il ne comprenait pas, sous cet angle, la notion de complexe. Par contre, pour militer de manière acharnée en faveur de la promotion des littératures d'Afrique, il observe un point de complexe dans le champ littéraire, dans cette marginalisation des productions africaines. En VRP de ce monde du livre Africain, il invite le public passant à découvrir son trio MSN gagnant de la littérature. Qui se passionne pour le FC Barcelone comprendra...
Pour rejoindre Felwine Sarr, auteur d’un remarquable essai intitulé Afrotopia, il me semble essentiel que ces générations qu’on souhaite décomplexées se saisissent de la plume ou du clavier pour raconter leur version de l’histoire. Dans l’entre-deux, Fiston Mwanza Mujila l’a fait de manière exceptionnelle avec son roman Tram 83. Texte complètement fou où l’amour pour un pays et ses gens s’exprime avec joie et douleur. Un roman d'amour que seul un congolais pourrait écrire à l'endroit de son pays. De nouvelles voix s’inscrivent dans cette nouvelle tonalité de la prise de parole pour dire le quotidien de la jeunesse africaine. Hakim Bah dans un recueil très court de nouvelles, mais de mon point de vue sait ô combien dense, mettre cette jeunesse majoritaire sur le continent qui, dans Tachetures, observer la folie de la génération précédente détruire les rêves et l’espoir de ceux qui viennent. Mais l’impression que Tachetures, c’est un refus de la résignation. Que dire de la virulence d’Elgas, dans sa posture totale exprime une profonde colère contre une société qu’il estime sclérosé. Idem pour Mohamed Mbougar Sarr qui y met plus la forme. Ce ne sont que quelques exemples emblématiques. Il y a là une rupture générationnelle, je pense dans l’espace littéraire africain, avec une forme d’insubordination assumée pour les nouveaux entrants…
Mais si on devait s’extraire du monde du livre, de manière plus générale, une Afrique génération décomplexée passe avant tout par la révolution numérique et la possibilité de contourner les canons antiques de la prise de parole. Le mouvement est donc à voir dans le champ de la blogosphère qui s’élargit progressivement et la nécessité de produire du contenu. Un contenu de qualité. Dans tous les champs possibles, cette génération à une possibilité de s’exprimer. L’expérience que j’aie en tant que blogueur, qui a fini par trouver une forme de légitimité dans le monde de la critique littéraire avec la volonté de valoriser des discours me passionnant, s’inscrit dans cet esprit.