Etgar Keret raconte ici 7 années de sa vie à Tel Aviv entre la naissance de son fils, sa soeur ultra-orthodoxe et ses onze enfants, les chauffeurs de taxi irascibles, ses parents rescapée de l'Holocauste, les tournées littéraires mouvementées, avec toujours en toile de fond, cette peur des bombardements...
Ainsi avec sa femme ils pratiquent un moment la philosophie du si-je-dois-partir-en-fumée-je-ne-veux-pas-mourir-en-gogo devant l'imminence de l'explosion probable d'une bombe nucléaire sur leur quartier. Ils décident ainsi de ne pas réparer leur plafond délabré puisque la ville va être rayée de la carte prochainement, puis reportent également les travaux de jardinage, "Pourquoi sacrifier inutilement, en les plantant, des violettes, des jeunes citronniers et de jeunes orangers -ce serait du gâchis. Si j'en crois Wiipédia, ils sont particulièrement sensibles aux radiations." , puis renoncent à faire la vaisselle car ils ne veulent pas mourir en faisant la vaisselle, suppriment le ménage, la sortie des poubelles, font un prêt astronomique à la banque jusqu'à ce que le doute s'installe... Et si les iraniens ne bombardaient pas la ville ???
Vous l'aurez compris, le ton est décalé, l'humour permettant à l'auteur d'affronter cette situation instable quotidienne et d'instiller du bonheur là où le chaos règne.
"Quelques semaines avant la naissance de notre fils Lev, voilà bientôt quatre ans, deux questions de la plus haute importance philosophique se sont présentées à nous.
La première, va-t-il ressembler à sa maman ou à son papa, a reçu une réponse rapide et sans équivoque à sa naissance : il était beau. Ou, ainsi que le dit ma chère épouse avec beaucoup d'à propos, "La seule chose qu'il ait hérité de toi, ce sont ces longs poils dans le dos."
Quant à la seconde, que-fera-t-il-quand-il-sera-grand, elle nous a tarabustés pendant les trois premières années de sa vie. Son mauvais caractère semblait le destiner à une carrière de chauffeur de taxi ; sa capacité phénoménale à se trouver des excuses le prédisposait plutôt au métier d'avocat ; et l'impérieuse domination qu'il a constamment exercée sur les autres montrait qu'il pouvait aspirer à occuper un poste élevé au sein d'un quelconque gouvernement totalitaire. Mais depuis quelques mois, le brouillard qui estompait l'avenir rose et replet de notre fils a commencé à se dissiper. Il sera probablement livreur de lait, sans quoi son étonnante aptitude à se réveiller chaque matin à cinq heures trente puis, immanquablement à venir nous réveiller aussi, ne servirait strictement à rien." p. 85
Avec autodérision et un humour incisif revigorant Edgar Keret évoque en filigrane tout au long de ces 7 années de bonheur des questions essentielles et universelles.
"D'ailleurs, on le dit bien : "Ce n'est pas parce qu'on est paranoïaque qu'on n'est pas persécuté." Au cours des vingt ans où j'ai voyagé un peu partout dans le monde, j'ai connu ma part d'actes, de gestes et de paroles antisémites authentiques qu'on ne peut expliquer par aucune erreur de prononciation." p. 41
Présentation de l'éditeur : Editions de l'Olivier ; Points
7 années de bonheur, Etgar Keret, traduit de l'anglais (Israël) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Points, 2015, 185 p., 6.50 euros