« Ces êtres vivaient dans Rabuchon et je ne les voyais pas ! Il y avait donc de l’invisible ! En face de cette énigme, je connus l’inquiétude et battis des paupières. Grande Alaya, de quoi est fait cet invisible ?! Quelle en est l’intention ?! De quels dangers est-il le gîte ?! Je sursautais et m’envolais à la moindre sensation. Le monde devint soudain menaçant, et, moi, persécuté vraiment par tout ce qui devait exister, m’envisager sans doute, et que je ne voyais pas. »
« Les neuf consciences du Malfini »
Patrick Chamoiseau
J’ai voulu faire une pause à la complexe et folle lecture de DIADORIM, de l’auteur João Guimarães Rosa, en tentant quelque chose de léger et je me suis totalement planté. Thanks God !
Car j’ai rarement lu un imaginaire si puissant, outillé par une poésie impressionnante, au service d’un chant à l’humanisme, d’un cri à l’entraide, d’une ode au rapprochement des êtres. Faune, flore, humain ; de la plus petite poussière de fleur aux serres d’un grandiose rapace ; tous ensemble au service de notre mère nature. Patric Chamoiseau m’a transporté.
« Les neuf consciences du Malfini » de Patrick Chamoiseau (édition Gallimard, 2010) trainait dans mes bouquins à lire depuis près d’un an et je l’ai pris, nonchalamment, en courant après mon train, surtout parce qu’il était en poche. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait... MAIS QUEL LIVRE !!
PO PO PO PO PO PO... La folie caribéenne est, sans aucun doute, cousine de la folie, littéraire évidemment, latine !
« N’être pas né à Rabuchon devint la pire des tares. Ils contrôlaient les coulées de vent. Ils inspectaient l’ombre complice des ravines. Ils montaient la garde dans les trouées des grands feuillages qui servaient de passages. Ils filtraient les bourrasques et les pluies étrangères qui ramenaient des choses de l’horizon. Ils passaient au crible les nuages vagabonds qui s’en venaient de loin pour décharger leur panse sur l’arête des Pitons. Ils exagéraient tant à refouler tout ce qui apparaissait, sur terre comme dans les airs, que je prenais l’envol pour jeter quelque déroute dans leur névrose sécuritaire, et les forcer à vivre les hasards de l’espace et du vent. »
Mais, revenons au livre, au roman. Restons concentré.
Patrick Chamoiseau nous entraine dans la tête d’un grand rapace, une terreur du ciel que son Alaya, son aura, qu’on pourrait voir comme son instinct animal, a voué à la violence et au sang, à la domination du plus puissant sur les faibles. Et ce Malfini, par le hasard d’un oisillon qui tombe dans son nid, découvre un jour ce qui, pour lui, être des grandes hauteurs, est l’insignifiance même : une communauté de Colibri.
Et dans cette communauté, un élément singulier, un micro oiseau qui sort de la masse, totalement différent des autres, qui ne fait rien, ne vit rien, ne pense rien comme les autres. Un Foufou marginal dans ce territoire riche en vie qu’est la contrée de Rabuchon.
« Colibri avait perçu qu’il ne s’agissait pas d’un immigrant ordinaire. Il préféra dissimuler ses forces et prendre le temps de l’observer. Il organisa la riposte lors de la deuxième journée. Il remobilisa ses anciennes escadrilles, s’associa à des centaines de merles, de sucriers, de tourterelles, même d’abeilles et de vonvons, qui avaient été victimes d’une manière ou d’une autre de frappes du Féroce. »
Et là, le génie... Chamoiseau utilise ce rapace observateur comme un œil pour nous parler de l’humain. De la différence, du besoin des plus petits que soi, du respect pour les intelligences autre. Chamoiseau nous parle de la nécessité d’apprendre des autres, de l’ouverture d’esprit, de l’altruisme.
Mais surtout, c’est un putain de bon roman d’action qui vous tient en haleine, qui vous émeut (à côté du Foufou, Calimero c’est l’enfant prodigue), et qui vous apprend comment un être minuscule entreprend d’apprendre en observant ; en observant le moindre arbrisseau, la plus petite fourmi, en regardant vivre les plus dangereuses tornades. Chamoiseau nous montre qu’à force de volonté, de combat, tous pouvons sortir de nos instincts animal et rendre dominant cette humanité sans laquelle la survie collective n’est pas possible.
Puis, quand le grand rapace prends conscience de son inutile puissance, accepte, avec humilité, de la prédominance de la sagesse ; c’est le début d’une révolution humaniste et humaine car, les Nocifs également, les humains donc, ne sauraient s’exonérer de cette lutte pour préserver le paradis qu’est Rabuchon.
Je ne suis pas très clair dans ma chronique de ce livre ? Je suis trop englué dans l’émoi de mon plaisir de lecteur ? Eh bien, c’est bien comme ça !
Quand une histoire de colibri Foufou et d’un rapace Malfini nous parle d’immigration, d’accueil, de générosité... Ce livre devrait devenir l’étendard de toutes les ONG humanistes du monde.
Un MUST READ !
« Les neuf consciences du Malfini »
Patrick Chamoiseau
éditions Gallimard
Gallimard, 2010