Questions internationales - L'une des principales justifications avancées pour reprendre le projet avorté de constitution européenne sous la forme d'un traité dit "simplifié" était que les modifications institutionnelles contenues dans le premier texte étaient indispensables à un fonctionnement harmonieux de l'Union européenne à 27. Qu'en pensez-vous ?
Jean Quatremer - La principale motivation du traité de Lisbonne est d'effacer l'échec du référendum sur la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas, échec qui a stoppé net un élan intégrateur. En quelque sorte, il fallait un nouveau traité, celui-là ou un autre, pour relancer la machine. Il fallait montrer aux citoyens que l'Union était capable de rebondir, que la volonté politique de poursuivre la construction communautaire était toujours là, mais surtout il était nécessaire de rétablir la confiance entre les États. Il ne faut pas perdre de vue qu'une majorité d'États avait ratifié la Constitution européenne, dont deux par référendum, et que personne n'a compris qu'un texte qui portait fortement la marque de la France et qui a été négocié et approuvé par ses plus hautes autorités politiques ait été rejeté par ses citoyens. La proposition de Nicolas Sarkozy de rédiger ce qu'il a improprement appelé un « traité simplifié » était donc en réalité une thérapie nécessaire pour que l'Union sorte de la crise dans laquelle l'avait plongée le double non franco-néerlandais.
Cette dimension psychologique et politique est à mon sens déterminante. Car les institutions actuelles ont montré qu'elles étaient capables de supporter le choc du grand élargissement comme le soulignent toutes les études sur le processus de décision européen depuis le 1er mai 2004. Le blocage de la machine institutionnelle, contrairement à ce que tout le monde, y compris moi-même, redoutait n'a pas eu lieu. Il ne s'agit pas de nier l'importance des réformes institutionnelles contenues dans le traité de Lisbonne, mais simplement de dire que l'urgence institutionnelle n'en était pas la raison première. D'ailleurs, ces réformes n'entreront en vigueur que progressivement : il faudra attendre 2017 pour que le traité de Lisbonne s'applique totalement... S'il y avait urgence, l'entrée en vigueur aurait été immédiate.
QI - En France tout particulièrement, on a développé l'idée que la ratification du traité de Lisbonne ne soulèverait pas de difficultés au sein des États membres, et qu'il devrait entrer en vigueur. Cet optimisme vous paraît-il fondé ?
Jean Quatremer. - Absolument. Mis à part l'Irlande, tous les États se sont engagés à procéder par voie parlementaire. C'était la condition sine qua non d'une nouvelle négociation. L'Allemagne, notamment, n'aurait pu accepter de renégocier un traité qu'elle avait déjà ratifié en prenant le risque d'un nouveau rejet français : son Parlement n'aurait jamais accepté une seconde humiliation et cela aurait signé la fin de l'aventure européenne. La démocratie parlementaire a un sens dans la plupart des pays européen qui échappe aux Français qui ont appris avec la Ve République à mépriser la représentation élue : le référendum est devenu la forme la plus achevée de la démocratie alors qu'elle n'en est qu'une forme dégradée comme l'ont bien compris les Allemands qui l'ont interdit. Ceux qui appelaient à un nouveau référendum en France raisonnaient uniquement en termes de politique intérieure française. Or L'interdépendance entre les pays européens est désormais tellement grande que l'on ne peut plus ignorer ce qui se passe chez le voisin. C'est pourquoi je pense que les référendums purement nationaux sont désormais condamnés : trop aléatoires, ils obéissent la plupart du temps à des considérations purement nationales de politique intérieure. Bien que n'étant pas favorable par principe à la démocratie directe, je considère que le référendum envisageable sur les questions communautaires ne peut être que transeuropéen, c'est-à-dire avoir lieu le même jour partout et considérer le seul résultat global (par exemple, une majorité de citoyens représentant une majorité d'États).
QI - On a fréquemment attribué à l'échec du traité portant constitution de l'Europe la stagnation de la construction communautaire et les difficultés de l'Union européenne à prendre des positions communes sur divers grands dossiers internationaux. Pensez-vous que l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne pourra y remédier ?
Jean Quatremer - Je ne crois absolument pas que la problématique européenne ait été déterminante dans le résultat des référendums en France et aux Pays-Bas. Toutes les études postélectorales ont montré exactement le contraire. Ce sont les préoccupations économiques et de politique intérieure qui ont motivé la grande majorité des votes. Je ne crois pas non plus aux vertus miraculeuses des textes : ils ne sont que ce que les hommes et les femmes en font. Tout est affaire de volonté politique plus que de textes. De plus, je ne crois pas non plus que l'Union européenne soit si incapable que vous le suggérez sur la scène mondiale. En matière de commerce international et de politique monétaire et financière, elle pèse d'un poids déterminant.
Ainsi, En matière de politique étrangère internationale, même si son rôle n'est pas toujours justement perçu par les citoyens, la transition réussie des pays d'Europe centrale et orientale est, par exemple, un vrai succès de politique étrangère. Sans la perspective d'une adhésion rapide à l'Union européenne, que se serait-il passé ? N'aurait-on pas assisté à toute une série de conflits régionaux causés motivés par les problèmes des minorités et les revendications territoriales ? De même, après les ratages du début, la gestion européenne des Balkans a plutôt été réussie, notamment en Croatie, en Macédoine, au Monténégro et en Albanie. Son seul échec est sans doute son incapacité à résoudre le nationalisme serbe. Enfin, son rôle en Afrique progresse rapidement. La politique étrangère commune se développe plus rapidement qu'on ne le croit, par cercles concentriques. Il ne faut jamais perdre de vue que l'Union européenne n'est vieille que de 50 ans et que la politique étrangère commune n'est âgée que de 14 ans puisque sa mise en place n'a commencé que fin 1993. Ce n'est rien à l'échelle de l'histoire.
QI - Au nombre des modifications institutionnelles, figure la désignation d'un président de l'Union européenne pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois. Quel pourra être son rôle ?
Jean Quatremer - Il y a tout un éventail de possibilités. L'hypothèse basse est un président dont le rôle ne va pas plus loin que celui de l'actuelle présidence semestrielle tournante. Il serait un chairman chargé d'organiser le suivi des travaux du Conseil européen. Dans ce cas, il n'aurait à sa disposition qu'une équipe réduite. L'hypothèse haute est celle d'un vrai président de l'Union disposant de l'ensemble des services du Conseil des ministres. Le président de la Commission et le ministre des Affaires étrangères lui seraient subordonnés et c'est lui qui impulserait les travaux de l'Union.
Schématiquement, la première approche est défendue par les petits pays et les États les plus fédéralistes - il en reste ! - qui craignent que l'affaiblissement de la Commission ne donne trop de pouvoirs aux grands pays et que le champ de la méthode communautaire soit de plus en plus étroitement circonscrit. Ces États souhaitent qu'à terme les fonctions de président du Conseil européen et de président de la Commission soient fusionnées, ce que le traité de Lisbonne n'interdit pas, afin de donner la prééminence à la Commission et donc à la méthode communautaire. La seconde option hypothèse est portée par les États membres qui veulent accroître la dimension intergouvernementale de l'Union, comme le Royaume-Uni, et qui refusent toute fusion des fonctions. Le centre de gravité de l'Union glisserait ainsi davantage vers le Conseil et donc les États membres. Pour l'instant, rien n'est tranché, les États membres négociant le mandat précis du futur président du Conseil.
QI - La construction européenne a toujours connu une ambiguïté entre logique d'intégration et logique intergouvernementale. Cette dernière semble avoir pris le pas sur la première, notamment en raison du processus d'élargissement. Faut-il renoncer à une identité politique de l'Union européenne lui permettant de peser de façon homogène dans les affaires du monde ?
Jean Quatremer - Je ne suis pas d'accord avec le lien que vous établissez entre affaiblissement de la méthode communautaire et élargissement. Je vous rappellerai que la France, lors de la crise dite « de la chaise vide » en 1965, a bloqué pour vingt ans le passage au vote à la majorité qualifiée à une époque où l'Europe ne comptait que six États membres. Il y a toujours eu des allers-retours entre méthode communautaire et méthode intergouvernementale, les deux ne s'excluant d'ailleurs pas forcément : les États membres ne décident-ils pas de façon intergouvernementale des sujets qui passeront à la moulinette communautaire ?
Ce qui est en revanche certain, c'est qu'après la période glorieuse du marché unique et du règne de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne entre 1985 et 1995 on assiste à un épuisement des États. La Constitution et maintenant le traité de Lisbonne en tirent la conséquence. Pour la première fois dans l'histoire de la construction communautaire, il n'y a pas de nouveaux partages de compétences ou alors marginalement - je considère que le passage au vote à la majorité qualifiée n'implique pas une novation dans le champ des compétences de l'Union. Mieux, si j'ose dire : les États pourront à l'avenir décider de retirer des compétences à l'Union. Je crois que l'Union a atteint un plateau. Le dépassera-t-elle un jour ? Impossible à dire. Mais il est clair que le niveau actuel de partage de compétence est largement insuffisant si l'Union entend devenir une puissance politique, notamment dans le domaine de la défense, de la politique étrangère, de la politique économique, de la recherche, etc. Et comment ne pas constater qu'un budget communautaire limité à 1 % du produit intérieur brut européen est largement insuffisant ? Cela étant, c'était le niveau du budget américain au début du XXe siècle...
QI - Un reproche souvent fait à l'Union européenne par les opinions publiques des pays membres est la faiblesse de son enracinement démocratique. Ce sentiment ne peut qu'être renforcé par la procédure parlementaire choisie par la plupart des États membres pour ratifier le traité de Lisbonne. Quelles mesures préconiseriez-vous pour améliorer cette image classique d'un complot entre les gouvernements, les hauts fonctionnaires et les lobbies économiques ?
Jean Quatremer - Lorsque j'entends les Français se plaindre du déficit démocratique européen, je ne peux m'empêcher de penser que l'on voit effectivement mieux la paille dans l'œil de son voisin que la poutre dans le sien. La démocratie européenne est bien plus vivante que la démocratie française : le Parlement européen, par exemple, n'hésite pas à rejeter ou à profondément amender les projets de directives qui lui sont soumis. Il a aussi contraint la Commission Santer à la démission en mars 1999 et a obligé José Manuel Durao Barroso, l'actuel président de la Commission, a revoir la composition du collège en 2004. [ : rappelez-moi la dernière fois que le Parlement français a renversé un gouvernement ou même simplement retoqué un projet de loi gouvernemental ? De même, ] ** proposition de suppression de ce corps de phrase ? Ce constat est en effet commun à de nombreuses démocraties : depuis quand la Chambre des Communes a t-elle renversé son dernier gouvernement ? Personne ne contesterait pourtant la démocratie britannique sur ce critère ? A contrario, la vie politique belge constitue un contre-exemple ?**. On reproche aussi à la Commission de détenir le monopole de l'initiative législative alors même que les propositions de loi émanant du Parlement en France se comptent sur les doigts d'une main par session législature. Et parfois, on souhaiterait que ce droit lui soit retiré : on aurait ainsi évité la scandaleuse affaire des tests ADN pour les étrangers. On oublie trop souvent que si la Commission dispose du monopole de l'initiative, c'est pour donner une cohérence à l'action de l'Union. Si chaque État pouvait déposer son projet de directive, on assisterait à des négociations « donnant, donnant » comme on l'a vu dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Les États en ont d'ailleurs conscience puisqu'ils ont décidé d'accorder le monopole d'initiative à la Commission dans ce domaine...
Je crois que les Français ont une grande difficulté à comprendre comment fonctionne un système parlementaire et bipartisan, eux qui sont habitués à une royauté élective qui décide de tout [de la loi jusqu'à la nomination du responsable de la villa Médicis à Rome] ** proposition de suppression de ce corps de phrase : c'est un exemple qui montre au contraire que tout n'est pas possible puisque la décision a depuis été annulée sous la pression de l'opinion**. Il faudra pourtant qu'ils s'y habituent, car l'Union ne peut s'organiser fonctionner sur le mode majorité/opposition qui implique des affrontements idéologiques théâtraux et une marginalisation de la minorité: imagine-t-on des États systématiquement mis en minorité durant toute une législature parce qu'ils n'appartiennent pas à la majorité politique du moment ? L'Union, qui est d'abord une union d'États et avant d'être une union de peuples, implique donc la recherche du ne peut fonctionner que sur la base du consensus. On peut comparer le mode de fonctionnement de l'Union à celui qui est en vigueur aux États-Unis, un système bipartisan que comprennent bien les pays anglo-saxons et du nord de l'Europe.
Je ne crois pas non plus aux vertus du référendum pour rapprocher les peuples de l'Europe : le référendum positif de septembre 1992 sur le traité de Maastricht a-t-il rapproché les Français de l'Europe ? La réponse négative est une évidence. Il s'agit essentiellement d'une affaire d'éducation (apprend-on à l'école l'Union européenne ?), d'information (notamment à la télévision) et de pédagogie des femmes et des hommes politiques : le jour où les gouvernements arrêteront de nationaliser les succès européens et de communautariser les échecs nationaux, on aura fait un grand pas pour rapprocher l'Europe des citoyens. Cela étant, la défiance actuelle à l'égard de l'Europe - que les sondages relativisent pourtant - n'est que le reflet de la défiance que manifestent les peuples à l'égard de leurs gouvernements. Nous vivons une crise profonde de la démocratie - comme l'a montré la présence de Jean-Marie Le Pen au second de l'élection présidentielle de 2002 - et on ne voit pas par quel miracle l'Union serait épargnée. La mondialisation est vécue comme une dépossession par les citoyens. Ces derniers ont l'impression que l'État est totalement désarmé, et ce n'est pas l'actuelle crise financière qui va les rassurer. Peut-être que les choses iraient mieux si les États acceptaient enfin de reconnaître que, dans un certain nombre de domaines, le niveau opérationnel est désormais l'Europe. Si l'État ne peut pas tout, l'Europe peut davantage. Mais cela, les politiques ne parviennent pas à l'admettre. Ce déni laisse l'impression aux citoyens qu'ils sont laissés sans protection, ce qui est évidemment inexact.
QI - Dans le choix des fonctionnaires de l'Union européenne, un système de quotas est en place, qui favorise pour le moment le recrutement de ressortissants des nouveaux États membres. Ce mode de recrutement ne risque-t-il pas de porter atteinte à un esprit européen caractéristique des premières décennies de la construction européenne, au profit d'une simple logique de carrière, avec les avantages qu'elle comporte ?
Jean Quatremer - À chaque élargissement, l'Union a procédé de la même façon afin d'intégrer rapidement des fonctionnaires provenant des nouveaux États membres. Cela est une nécessité si l'on veut éviter que les institutions soient « hors sol ». Ce n'est pas un hasard si les propositions de la Commission sont dans une majorité de cas modifiées à la marge par le Conseil des ministres et le Parlement européen : elles représentent déjà un point d'équilibre. Celui-ci ne peut être atteint que parce que l'exécutif européen a une claire conscience des intérêts de chaque État membre. Et cette conscience ne peut exister que parce que toutes les nationalités ont leur place dans les institutions.
Ce qui est, en revanche, inquiétant est l'effet des réformes initiées par Neil Kinnock, le commissaire chargé de la réforme administrative, entre 1999 et 2004. En faisant du concours la source unique du recrutement des fonctionnaires, elles ont privé la Commission et le Parlement des compétences de personnalités de haut niveau qui ont passé l'âge des examens et des salaires réservés à des gamins de vingt ans. Résultat, les fonctionnaires qui n'ont aucun engagement européen, aucune idée novatrice sont désormais légion, ce qui est un drame. La construction communautaire reste une aventure qui nécessite de l'enthousiasme, pas de la technocratie. Pour caricaturer, je dirais que l'on recrute désormais d'excellents interprètes connaissant sur le bout des doigts les institutions.
QI - La presse se fait régulièrement l'écho de phénomènes d'abus, voire de corruption, concernant le Parlement européen. Quels sont les contrôles qui s'exercent à cet égard, et pourquoi ne sont-ils pas plus efficaces ?
Jean Quatremer - Il y a des abus au Parlement européen, mais pas de corruption. Ces abus existent au sein des parlements nationaux même si l'on en parle moins. Sans doute parce que les institutions communautaires sont des maisons de verre et qu'il est facile de coincer les fraudeurs. En l'occurrence, vous faites allusion au problème des assistants des eurodéputés et du contrôle de leurs notes de frais. Une minorité de députés n'hésitent pas à se mettre dans la poche l'argent normalement destiné à payer leurs assistants ou leur secrétariat. Les moyens de contrôle sont simples à mettre en place, mais le Parlement rechigne à le faire, car pendant longtemps ces fraudes ont été tolérées : faute de statut unique des députés, chaque député européen était payé comme un député de son pays par son État d'origine. Résultat : des différences de salaire d'un à dix au sein d'une même institution pour le même travail. On considérait que c'était un moyen de combler ces écarts de revenu, ce qui n'a aucun sens puisqu'un député bien payé pouvait détourner l'argent comme un député mal payé. Un système autorisant la fraude est, de toute façon, inacceptable. De même, les partis politiques exigeaient des députés élus qu'ils leur versent une certaine somme chaque mois pour alimenter leur caisse ! Un statut des députés européens ayant été adopté, tout cela doit cesser. Le Parlement n'a désormais plus aucune excuse. Mais il faudra que les États membres acceptent que les assistants, les véritables chevilles ouvrières du Parlement, bénéficient d'un véritable salaire, ce qui n'est pas encore gagné : la Belgique, en particulier, rechigne à perdre un certain nombre de contribuables, ce statut impliquant que les assistants paieront désormais l'impôt européen et non plus l'impôt belge.
QI - La Banque centrale européenne (BCE) semble avoir pour préoccupation unique la lutte contre l'inflation et la stabilité de l'euro. Quelles mesures vous semblent possibles pour rapprocher les politiques économiques et fiscales des États membres, et qui pourrait les promouvoir ?
Jean Quatremer - Il n'y a qu'en France qu'on oppose stabilité des prix et croissance. Si l'objectif principal de la BCE est bien d'assurer la stabilité des prix, c'est afin d'assurer une croissance saine et durable, ce qui est son second objectif. Cela évite les politiques de « stop-and-go » que la France a bien connues dans le passé : quand l'inflation devient trop forte, on freine brutalement, ce qui n'est pas particulièrement bon pour la croissance et donc l'emploi. De plus, contrairement à une légende tenace, la BCE n'est pas si rigoureuse que cela, puisqu'en dix ans elle n'a pratiquement jamais atteint son objectif de stabilité des prix qui est une inflation contenue autour de 2 %. Elle s'est réservée une marge afin de favoriser d'abord la croissance. Sa politique monétaire n'a jamais été restrictive, mais plutôt accommodante ou neutre.
Elle a du mérite face à l'inconséquence de la France et de l'Italie - qui représentent une moitié du produit intérieur brut de la zone euro - qui n'ont pas profité des périodes de croissance soutenue pour purger leurs finances publiques et les rendre soutenables à long terme comme l'ont fait les autres États membres de la zone euro. Les appels français pour qu'un véritable « gouvernement économique » soit mis en place sont donc regardés avec méfiance par les partenaires de la France qui ne voient là qu'une volonté de placer sous contrôle la BCE afin de continuer à mener une politique économique laxiste. Dans l'Union, ceux qui sont pris au sérieux sont ceux qui réussissent. La France n'est pas dans ce cas de figure : les moulinets de bras de ses autorités politiques sont accueillis avec une extrême méfiance dans le reste de l'Union. Surtout, ce qui m'a toujours fasciné dans ces demandes françaises, c'est leur extraordinaire hypocrisie. Car la France sait qu'elle est extrêmement minoritaire en Europe et que s'il y avait un véritable « gouvernement économique » doté d'un pouvoir de décision, ses partenaires lui tordraient le bras pour la contraindre à mener les réformes structurelles qu'elle diffère depuis vingt ans, comme la diminution des dépenses publiques. Si elle espère que ses partenaires se laisseront convaincre d'augmenter leurs dépenses publiques et leur fiscalité ou de placer la BCE sous tutelle, elle prend ses désirs pour des réalités. Lorsque la gauche française réclame une « Europe sociale » ou fiscale, elle ne semble pas se rendre compte qu'un vote à la majorité qualifiée dans ces domaines signifierait la fin du « modèle » français en Europe. Car notre « modèle » ne fait rêver que nous-mêmes.
QI - En définitive, sur quel(s) terrain(s) l'Union européenne rénovée vous paraît-elle le mieux à même de relancer la construction européenne ?
Jean Quatremer. - Jusqu'à présent, l'Europe a fonctionné comme une pince à épiler : elle enlève les échardes qui nous obsèdent et que l'on oublie aussitôt après. Elle a rendu la guerre impossible entre nous, elle a supprimé tous les obstacles à la libre circulation des hommes, des marchandises, des services, des capitaux. Bref, elle a créé un espace de paix et de prospérité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Le problème est que, pour les jeunes générations, tout cela est de l'acquis et ne fait plus rêver. L'Europe est devenue une évidence au mieux, une bureaucratie incompréhensible au pis. On ne sait plus très bien pourquoi on est ensemble : regardez, les chefs d'État et de gouvernement expliquent à longueur d'année de quelle Europe ils ne veulent pas - un « superstate », une Europe puissance, etc. -, jamais de quelle Europe ils veulent. Vers quoi va-t-on ? Personne n'en sait rien.
L'Europe manque aussi dramatiquement de contenu. Son seul symbole concret est finalement l'euro et les quelques éléments de citoyenneté européenne - droit de vote, passeport « européen ». C'est insuffisant : il faut maintenant donner un contenu concret aux politiques européennes. Le projet de navigation par satellite Galileo est un exemple de ce que peut faire l'Union et auquel le citoyen aura affaire dans sa vie quotidienne. La politique étrangère et la défense européenne sont aussi des chantiers très prometteurs, tout comme celui d'une force civile européenne, d'un corps de garde-frontière européen, du procureur européen, de la politique environnementale, etc. Il faut que l'Europe s'affiche concrètement dans la vie de tous les jours des citoyens et revendique ses actions en ne laissant pas les gouvernements se les approprier. D'un point de vue symbolique, j'ai ainsi trouvé extrêmement positif que le drapeau européen figure sur la photo officielle du président de la République ou encore que Nicolas Sarkozy invite les troupes des États membres à défiler le 14 Juillet et les passe en revue en compagnie du président en exercice de l'Union, du président du Parlement européen et du président de la Commission.
JEAN QUATREMER
Correspondant auprès de l'union pour Libération
Auteur du Blog "Les coulisses de Bruxelles"
Membre du comité éditorial de relatio-europe
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