PRÉAMBULE : la puissance des livres surpasse le pouvoir des armes
Tobie Nathan (DR)
PAR TOBIE NATHAN
AUTEUR CARTEBLANCHE
Le paysage culturel a connu un bouleversement sans précédent ces vingt dernières années. Plus que de la République, nous sommes désormais de l’Internet et du smartphone. Et nous voici hébétés par l’alternance d’une liberté de parole sans frein et d’une soumission à un contrôle social poussé aux limites ; abasourdis par le martèlement d’une banalité obligée, la répétition indéfinie des mêmes messages sur des chaînes d’information en continu.
Le smartphone permet certes de communiquer, mais, à la manière du bracelet électronique du détenu, il trace la présence de son propriétaire, ses déplacements, conserve la mémoire de ses intérêts et de ses questionnements… Un propriétaire de smartphone (c’est-à-dire tout le monde) n’est pas seulement nu au regard de la modernité, il est radiographié. Bientôt on se passera de tout mot de passe, rendu inutile par un scan de l’ADN ; de tous papiers d’identité, remplacés par une macrophotographie de l’iris renvoyant à une base de données centrale. Nos jeunes le savent avec leurs pouces qui dansent sur les claviers, avec leurs peurs, aussi, d’être traqués, avec leur regard prospectif, eux quine s’intéressent qu’à l’avenir. Ils redoutent ce monde à la pensée programmée, calibrée, millimétrée jusqu’à tenir en quelques phrases (des pitchs), en quelques mots (des tweets), en quelques secondes… Elle est avant tout pensée majoritaire, pensée du commun. Les analyses y précèdent les faits ; les choix moraux (les valeurs ?) précèdent les analyses.
Dans un tel contexte, comment est-il encore possible de penser contre ? Car penser, c’est toujours s’opposer…
C’est ainsi que j’ai proposé à la Ville de Caen, dans le cadre du bien nommé Époque, le salon des livres qui éclairent notre temps, quatre espaces de parole, sur des sujets qui me tiennent à cœur — des lieux où, je l’espère, il sera possible de s’opposer à la banalité :
« Peut-on se passer de Freud ? »,
« Le rôle de l’anthropologue dans la Cité »,
« Mythes et réalités de l’Afrique d’aujourd’hui » et
« La jeunesse française et le jihad »…
Quatre débats qui s’articulent autour de la question essentielle que pose Époque en ce printemps 2016 : « Faire corps : comment vivre ensemble aujourd’hui? »
Je reste persuadé que le seul antidote à la tristesse d’un monde d’identiques en guerre est l’aventure intellectuelle. Je suis convaincu que la puissance des livres surpasse le pouvoir des armes.
Professeur de psychologie, quelque temps diplomate, disciple de l’ethnopsychiatre Georges Devereux, Tobie Nathan est également essayiste et romancier. Il a publié, entre autres, La Nouvelle Interprétation des rêves (Odile Jacob, 2011), Ethno-roman (Grasset, 2012), prix Femina de l’essai, et Quand les dieux sont en Guerre (La Découverte, 2015). Son dernier roman, Ce pays qui te ressemble (Stock, 2015), a figuré parmi les quatre finalistes du Goncourt.
TOBIE NATHAN : La puissance des livres surpasse le pouvoir des armes.
FAIRE CORPS :COMMENT VIVRE ENSEMBLE AUJOURD’HUI ?