Les derniers bouleversements sur le marché français liés à ce que l’on appelle désormais l’ubérisation de l’économie invitent plus que jamais à placer l’innovation comme priorité des entreprises (en France et ailleurs !). Il ne s’agit pas, dans ce billet, de rentrer dans le débat « pour ou contre » l’uberisation mais de garder une perspective innovation :
1. Aucun des nouveaux acteurs cités dans l’article de l’Expansion n’étaient des acteurs historiques des marchés attaqués. Ce point ne fait que confirmer une règle déjà éprouvée en innovation : il est toujours plus facile de repenser et réinventer un marché de l’extérieur que de l’intérieur : Apple n’était pas expert en téléphone, Tesla attaque les constructeurs automobiles pour mieux s’implanter comme fournisseur de mobilités et d’énergies demain, Zappos n’était pas bottier depuis plus d’un siècle, Skype n’est pas une spin-off d’un opérateur Télécoms…
2. Tous ces « trublions » rebattent les cartes en développant notamment des modèles économiques de type plateformes, qu’aucun acteur historique n’aurait oser développer (au risque de tuer leur propre modèle économique).
Bienvenue dans l’ère du changement perpétuel ou l’obligation d’apprendre, de comprendre et de décider plus vite que les marchés au risque d’être obsolète.
L’accélération et l’ampleur de ces transformations de marchés peuvent alors induire deux types de réactions : l’écrasement lié au syndrôme FOBO (« FOBO « Fear Of Being Obsolete »), ou le réveil en nous disant que seules plus de créativité, d’intelligence partagée et d’ambition commune peuvent nous permettre de construire une perspective stimulante.
Vous pourriez arguer que la plupart des entreprises n’ont pas baissé les bras et sont déjà, pour la plupart, sur le chemin de la libération des potentiels créatifs, de la transformation digitale, innovation et clients…en s’appuyant sr toutes les formes possibles de dispositifs (labs, incubateurs, management des idées, ouverture, co-développement…).
Cela est vrai ; pourtant ces trublions de l’économie font émerger, par effet miroir, deux angles morts des démarches de transformation actuelles :
- La nécessité d’allier changement ET rapidité.
- La nécessité de réinterpréter le cadre de marché, de repenser la façon de penser dans une entreprise, en développant la capacité à voir autrement, à sortir des paradigmes existants tout en restant pertinents par rapport à une vision du « devenir ensemble ».
Ce deuxième point se traduit souvent par les questions suivantes de la part des organisations « Comment aider mes collaborateurs à faire un pas de côté ? », « Comment les responsabiliser plus ? », « Comment développer plus de collaboration entre services ? », « Comment développer une culture plus entrepreneuriale ? »…Derrière ces questions, surgit l’attente transverse de « plus de ». Paradoxalement, pour devenir « plus de », il est préférable d’en faire peut-être moins et différemment.
Les stratégies pour transformer une organisation sont en général de deux types : engager toute l’organisation ou engager une partie de l’organisation pour apprendre, réajuster plus facilement et créer des preuves par l’exemple.
L’impulsion de la démarche peut, elle aussi, s’opérer soit :
– en agitant le chiffon rouge « il faut changer sinon on est morts ». Cette stratégie accélère la mise en changement mais s’avère rarement durable : l’instinct de survie réagit une fois mais pas tous les jours en arrivant au bureau !
– en construisant une nouvelle vision partagée du futur pour mobiliser et engager les énergies (encore faut-il concentrer l’exercice dans le temps, ne pas perdre le fil rouge de la communication, du sens et des actions mises en oeuvre au fur et à mesure),
– simplifier : par exemple, « soyons plus agiles, supprimons des échelons hiérarchiques (les managers, pour ne pas les citer) ». La question que je (me) dans ce cas précis, oui il y a intérêt à supprimer des échelons hiérarchiques qui n’étaient pas formés à être des managers (promus souvent car ils étaient de bons experts) mais ne se trompe-t-on pas de sujet ou de raccourcis ? Surtout si celles et ceux qui restent ne sont pas formés à prendre plus de responsabilités ou à gérer des périmètres élargis ?
Au-delà de la simplification, qui devient en l’occurrence une réduction, la pensée binaire par essence exclusive, conduit rarement à plus de créativité.
Cette pensée binaire se révèle au travers d’objectifs opposés et a priori irréconciliables : c’est soit « l’atteinte des KPIs », soit l’innovation » ; c’est « soit l’équipe, soit le client » …. Pourtant la créativité se nourrit d’inclusion et de tensions positives: « Comment l’innovation peut-elle nous permettre de mieux atteindre les KPIs » ? « Comment le client peut-il nous aider à renforcer notre esprit d’équipe ? (ou comment l’esprit d’équipe peut-il nous permettre de mieux servir le client ? ») …
Les 5 court-circuits (extraits) que je partage ont plusieurs points communs : ils sont simples (comme un court-circuit
Enfin, ils sont présentés sous forme de problématiques de transformation des organisations :
Problématique 1 : Comment inciter mes équipes à identifier les compétences de demain (et à leur donner envie de se former) ?
Court-circuit 1 : Changer les questions pour changer les réponses
Réponse 1 : mener une réunion avec pour question centrale « qu’est-ce que vous auriez aimé apprendre à l’école ? »
– Introduire le sujet de la réunion en expliquant qu’il s’agit de réfléchir différemment à la notion de « compétences ».
– Intérêt : Chaque participant partage sur post-its la compétence désirée (inconsciemment il va mettre en perspective son travail actuel, voire les évolutions à venir) avec ce qu’il a appris (il y a souvent bien longtemps ;-)). Cela permet aussi de faire connaissance différemment en créant un lien subtil et peu intrusif entre l’univers personnel et professionnel.
– Les suites possibles pour amplifier la conversation : « qu’est-ce qui ressort (convergences) ? », « qu’est-ce que cela signifie par rapport à notre rôle dans l’organisation ? », « quels pourraient être nos prochains pas ensemble ? »…
Problématique 2 : Comment développer l’initiative ?
Court-circuit 2 : oser se faire confiance et faire confiance
Réponse 2 : A la fin d’un projet ou avant de lancer un projet co-construit, demander à l’équipe « Qui a envie de prendre en charge, de s’occuper de…? »
Ce court-circuit présuppose une posture managériale totalement différente :
– ne pas chercher l’excellence immédiate à tout prix (un vrai défi dans les entreprises qui promeuvent à juste titre l’excellence opérationnelle),
– accepter d’atteindre l’objectif (néanmoins ambitieux) par succès intermédiaires, rechercher la valeur ajoutée apportée au fur et à mesure et non la perfection.
Oser la confiance ne supprime pas le cadrage du « pourquoi » et du « quoi » (temps, ressources…), il ouvre le champ du « comment ».
– Intérêt : laisser un espace sécurisé pour sortir de sa zone de confort. Celles ou ceux qui saisissent cette opportunité au vol vous surprendront. En cas de projet qui ne produirait pas les résultats escomptés, l’expérience aura de toute façon fait bouger les lignes si vous la relisez collectivement.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire la dernière étude présentée dans la HBR « Les personnes ne se développement pas si vous pensez qu’elles n’en sont pas capables » !
Problématique 3 : Valable pour toutes les problématiques
Court-circuit 3 : remettre de l’humour comme prise de recul accélérée
Réponse 3 : Le photolangage (images inspirantes) est un des outils bien connus des facilitateurs pour amorcer certaines conversations.
Passez aux dessins/vidéos humoristiques qui permettent également de prendre positivement du recul sur une thématique. Soit vous choisissez un dessin pour introduire votre thème, soit vous préparez des cartes humoristiques et chaque participant choisira celle qui l’inspire le plus.
Voici quelques exemples :
Problématique 4 : Beaucoup de projets et peu d’avancements
Court-circuit 4 : petit interlude avant de conclure sur une demi-journée ou une journée de réflexion avec plans d’actions
Réponse 4 : Poser la question ci-dessous (inspirée des thérapies d’impact). L’équipe va dire… « évidemment, c’est Gh4 ! »
Ce à quoi vous pouvez répondre « Oui c’est ce que nous sommes incités à répondre dès demain matin, de retour dans l’urgence du quotidien ! » C’est la réponse logique et réactive. Les plans d’actions que nous venons d’élaborer appellent à changer la suite (logique), à créer une nouvelle séquence, notre propre séquence. Comment pouvons-nous nous assurer de notre engagement commun à changer la suite ? Quelles conditions simples devons-nous créer pour réussir ? Quel que soient vos rôles respectifs, comment chacun peut-il contribuer à l’accélération du plan ? etc….
Vous « verrouillez » ainsi les engagements (ce que chacun arrête de faire, ce qui ne change pas, ce que chacun commence à faire et lui apporte une nouvelle valeur ajoutée).
Problématique 5 : Comment créer une culture plus entrepreneuriale ?
Court-circuit 5 : utiliser et adapter le dispositif « Adobe Kickbox », disponible sous licence Creative Commons (et désormais adapté chez Mastercard, Nestlé…)
Réponse 5 : Au préalable, il est nécessaire de préciser brièvement en quoi consiste le programme « Adobe Kickbox » et ce qui le différencie de nombreux systèmes de management des idées pour favoriser l’innovation au sein d’une entreprise.
Adobe, éditeur de logiciels, dispose de différents programmes en interne pour soutenir l’innovation : achat de start-ups, Labs internes, Customer Advisory boards pour innover avec les clients…la KickBox s’inscrit comme une démarche complémentaire : il s’agit d’un kit qui permet à chaque collaborateur qui le souhaite de bénéficier de 1000$ pour développer son projet.
Les principales différences par rapport aux systèmes incitatifs déjà existants dans de nombreuses entreprises :
- La formation liée au dispositif : chaque collaborateur qui a envie de relever le défi doit suivre deux jours de formation pour être capable de passer d’une idée à un concept. Les deux jours correspondent aux techniques détaillées étape par étape dans la boîte rouge. Cela évite de laisser les collaborateurs motivés à contribuer de se retrouver « lost in innovation ».
- L’implication progressive d’un mini écosystème support du projet : La kickbox rouge contient en réalité les 5 étapes détaillées pour innover et se clôturent par un pitch devant un jury. Si l’idée est prometteuse (selon des critères clairement définis par Adobe), le collaborateur peut alors ouvrir la boîte bleue (à l’intérieur de la kickbox rouge). Il passe alors à la phase expérimentation grâce à des recommandations pour mobiliser une petite équipe en interne et réussir son expérimentation.
- Tout repose sur la confiance : la boîte contient une carte de 1000$ et aucun compte n’est demandé quant à l’utilisation, si ce n’est d etenir un délai de 5 semaines. Selon Mark Randall, le VP Créativité chez Adobe et inventeur du dispositif : « il n’y a aucun compte à rendre, la somme est distribuée à tous ceux qui ont la KickBox » car « si vous encadrez l’innovation avec trop de process, il devient difficile d’innover ! Nous préférons faire confiance à nos collaborateurs. »
- Le dispositif donne les moyens simples de l’autonomie (compétences, moyens) et de l’innovation (à vous de fixer ce qu’est une innovation bien sûr, les critères ; à vous e lancer un mouvement en annonçant un certain nombre de kickboxes mises à disposition !).
Pour le reste vous pouvez vous inspirer sur le site Adobe ici.
En conclusion, ces quelques petits court-circuits mis bout à bout (la liste proposée est loin d’être exhaustive, j’aurais pu aborder le business model, les réunions…) transforment rapidement et simplement les façons de penser et de faire pour plus d’innovation !