Comment les Fintech impactent le secteur financier ? David M. Brear, ancien banquier et CEO de Eleven FS Group, délivre son analyse en tant qu’expert du secteur. Entretien.
Les Fintech prennent une importance croissante, comme en témoigne une toute récente étude d’Accenture. Selon le cabinet de conseil, l’investissement global dans les entreprises de technologies financières au premier trimestre 2016 a atteint les 5,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 67% par rapport à la même période l’an dernier. Quel est leur impact sur le secteur financier ? Comment les banques s’adaptent à ces nouveaux acteurs ? La tendance est à la collaboration, institutions financières classiques et jeunes pousses des Fintech peuvent marcher main dans la main. Mais des changements sont attendus pour rendre cette coopération profitable.
David M. Brear, rencontré à l’occasion du European Fintech Awards and Conference 2016 qui s’est déroulé le 14 avril à Amsterdam, livre sa vision du sujet en tant qu’expert. Cet ex-Chief Thinker au Think Different Group - une entité internationale qui conseille les institutions financières sur la digitalisation des services bancaires - et CEO de Eleven FS Group a longtemps travaillé dans des banques et est désormais régulièrement listé comme l’un des spécialistes Fintech les plus influents.
L'Atelier : Qu’est-ce qui va changer dans le domaine des Fintech et du secteur financier dans les années à venir ?
David M. Brear : Ce qui est en train de se produire de très intéressant avec les Fintech et le secteur bancaire ces dernières années est que les premiers provoquent un changement indéniable. Pendant longtemps, les banques voulaient évoluer, embrasser les nouvelles technologies. Et je me dois de dire que dans toutes les banques avec lesquelles j’ai travaillé, beaucoup de personnes étaient disposées à relever le défi. Beaucoup souhaitent voir le changement se produire dans les groupes bancaires et souhaitent réellement proposer des choses nouvelles et convaincantes au client mais le faire quand personne dans le marché n’agit est difficile. Si aucune banque ne fait rien pour changer, alors tout le monde est tenté de maintenir le satut quo.
Mais récemment des personnes ont décidé de sortir du rang. Les acteurs Fintech, les groupes bancaires, les Atom, Tandem, Mondo, Number 26 et d’autres proposent des choses vraiment intéressantes et montrent qu’il y a une meilleure façon d’agir. La possibilité pour les banques d’utiliser la régulation ou la technologie ou les barrières culturelles pour dire “c’est impossible”, “on ne peut pas faire ça” a tout simplement disparu. Les banques n’ont plus vraiment d’excuses et c’est ce qui est le plus marquant.
Les gens ont déjà montré que c’était possible et je ne pense pas seulement aux acteurs Fintech, en particulier en Europe. Parce que de mon point de vue, l’Europe est au coeur de l’innovation dans le secteur bancaire. Si vous comparez aux États-Unis, à Hong-Kong, à la Chine, aux Philippines et à l’Australie, on est définitivement plus innovant. Probablement grâce à tous les scénarios qu’on a connu au sein de l’Union Européenne. Les banques les plus innovantes de la planète sont en Europe.
Les banques sont-elles en train d’évoluer pour s’adapter aux Fintech ?
L’aspect “évolutif” est intéressant. Ce n’est pas forcément évident pour des dirigeants de banque parce qu’ils ont commencé à travailler dans un environnement compliqué, avec de la pression venant des autorités de régulation, des gouvernements... Ils savent qu’ils doivent désormais prendre certaines mesures difficiles qui pourraient réduire la profitabilité par exemple. En raison de nombreux facteurs, déplacer ce mastodonte qu’est la banque n’est pas chose aisée... mais c’est possible. Avec les bons conseils, la bonne structure, et en mettant en œuvre la bonne technologie, tout est possible.
Personnellement, si j’avais le choix entre être le CEO d’un groupe bancaire - avec une portée mondiale, 60 millions de clients et le potentiel d’investissement qui va avec - ou bien être à la tête d’une start-up sans aucun client mais avec une technologie intelligente, je préférerais travailler avec le groupe bancaire. De mon point de vue, avoir 60 millions de clients est une très bonne façon de commencer. Donc, si le CEO peut effectivement apporter le changement au sein de son entreprise et permettre à ses employés de prendre des initiatives, alors je crois vraiment qu’un changement massif peut arriver.
On voit d’ailleurs de plus en plus de banques réaliser de vrais changements structuraux et initier de vrais transitions maintenant qu’elles sont davantage prêtes à relever le défi. C’est une réaction à la concurrence des Fintech.
Est-ce qu’une part de ce changement pour les banques passe par le fait de devoir collaborer davantage avec des Fintech ?
Oui, clairement. Plusieurs banques considèrent les Fintech plus comme des partenaires que comme des concurrents. Beaucoup ont adopté cette mentalité et c’est une manière très saine de voir les choses. Il faut simplement être attentif à ce qu’il y ait des réalisations concrètes.
Beaucoup de banques se rapprochent de l’écosystème start-up. Cela n’impacte pas seulement les livrables aux clients mais montre également aux employés qu’il y a d’autres moyens de délivrer ces services. Des moyens plus rentables, plus agréables. De réels progrès ont été faits pour changer la culture. Un exemple de transformation réussie au sein d’une banque implique de passer du temps non seulement à réfléchir à ce qu’il faut délivrer au client mais également à établir une bonne gouvernance, la bonne structure, les bons procédés hiérarchiques pour s’assurer que les collaborateurs puissent agir vite sans avoir à convaincre toute une série de personnes. Une telle transformation permet aux banques de garder leurs talents qui sans cela pourraient être tentés de rejoindre des structures plus souples.
Est-ce différent dans les pays en développement ?
Oui, je pense que si vous regardez l’Afrique, l’Inde ou la Chine, ce sont les sujets d’inclusion financière qui sont très populaires. Les tendances là-bas, en terme de ce qui doit changer, sont innombrables. Les fondamentaux y sont : vous avez un marché, une base de clients qui demandent du changement. Mais les services bancaires sont délivrés différemment, de plus en plus passent par le mobile.
Les portefeuilles virtuels comme celui d’M-Pesa fonctionnent bien là-bas mais il y a une raison pour laquelle ils ne se sont pas développés ailleurs. Il reste qu’il y a des régions très peuplées en Inde ou en Chine où il y a de vrais marchés pour les Fintech. L’idée par exemple que les gens de WeChat en Chine puissent se lancer dans les paiements et partir de leur base de clients est phénoménale.
Justement, selon vous quel sera le futur du paiement ?
À mon avis, le paiement sera beaucoup plus fluide. Je pense que les jours où il faut aller sur un site web ou une application pour créer ou exécuter un paiement seront bientôt derrière nous. Les gens cherchent de plus en plus à gagner du temps. Un bouton pressé sur un clavier suffira à payer depuis n’importe quel endroit. Être en mesure de payer ainsi, quel que soit le contexte, je crois que c’est la direction que prend le paiement.