Bertrand Soubelet, général de gendarmerie I ©Patrick Valleau via éditions Plon
La grande muette, murée depuis des décennies dans son silence, retrouve peu à peu de la voix. Le général de corps d'armée Bertrand Soubelet, patron de la gendarmerie d'Outre-Mer, va être écarté de ses fonctions. L’homme explique que "la sécurité dans notre pays n’est pas assurée comme elle le devrait". A l’Elysée et Matignon, on a la migraine. Cette prise de paroles poussera-t’elle d’autres militaires à jouer avec les limites du droit de réserve ? Une question légitime dont la réponse ne saura connue que dans le futur. En attendant, Quotidien Libre vous propose un portrait sommaire de Bertrand Soubelet. Attention, ça décoiffe !Soubelet, "général courage"Un jour de décembre 2013, les portes de l’Assemblée nationale voyait passer un homme en uniforme. Plus habitués à croiser des costumes et des cravates, les employés du Palais Bourbon regardent avec curiosité. Bertrand Soubelet est alors inconnu du grand public. Il vient à la rencontre du député socialiste Jean-Pierre Blazy et de sa commission parlementaire. A l’ordre du jour ? Le travail de la gendarmerie nationale contre l’insécurité. Le général Soubelet en est le patron des opérations et de l’emploi. A mille lieues d’imaginer la tournure que prendront les événements, il livre sans détours son sentiment et ses inquiétudes. Après tout, pas moins de quatre étoiles sont accrochés à son uniforme. Il parle d’une situation "préoccupante" et "difficile". Les moyens d’actions sont "insuffisants" pour lutter contre une "montée" de la délinquance. Il interpelle : "La charge de travail pèse sur l'équilibre personnel et familial des militaires. Et, surtout, la population sait-elle à quel point les hommes de la gendarmerie sont sollicités ?" Dans son viseur : la justice. Il évoque une politique pénale "qui pose problème" sur le plan national. Quelques semaines plus tard, nous autres journalistes avions relaté une séance ayant viré à la critique du gouvernement. Une période pénible débute. Durant des mois, l’homme est "court-circuité". Même s’il regrette que « le sens » de ses propos ait été « systématiquement » détourné, le militaire gradé sera démis de ses fonctions au mois d’août 2014. Désormais, il sera à la tête de la gendarmerie d’outre-mer. Une mutation en forme de punition qui lui vaut le surnom de "général Courage" par ses défenseurs. Et l’encre coule...Difficile à avaler pour un homme qui a consacré sa vie à la patrie. Fils d’un industriel d’origine basque, l’homme est très respecté de ses semblables. Cyril Hofstein, journaliste au Figaro le décrit comme un homme "engagé, parfois sec, toujours ferme, ne craignant ni confrontation ni controverse". Décoré de la Légion d’honneur et de la croix de la Valeur militaire, il voulait être gendarme dés l’âge de 8 ans. S’en est suivi une carrière fulgurante qui l’a mené de Saint-Cyr, à l’Allemagne en passant par la guerre civile en Haïti en 2004. Loin d’avoir été étouffée, sa soif de parler a trouvé un nouveau canal. Le 24 mars dernier, Bertrand Soubelet, 56 ans, a publié Tout ce qu’il ne faut pas dire aux éditions Plon. Un livre en partie motivé par les attentats de 2015. "Des pressions ont été exercées sur moi pour me faire quitter la gendarmerie. Désormais personne ne peut m'opposer un pseudo devoir de réserve. D'où ce livre. Mon diagnostic est simple : la sécurité est l'affaire de tous. Il est temps de réagir, grand temps. Il y a urgence. Notre société est en danger. Jamais le danger n'a été aussi menaçant".L’homme se défend de toutes considérations politiques. Il s’en prend à nouveau au système judiciaire. Il s’interroge : "Comment expliquer, dans un Etat de droit, que des règles juridiques empêchent de poursuivre des délinquants et que des victimes ne puissent pas obtenir réparation ?" Il évoque un pays devenu « poudrière » avant de souligner que les délinquants disposent "de stocks d'armes illicites qui sont le reliquat des guerres d'Europe centrale". Selon lui, la surpopulation carcérale est un défi majeur sur lequel "les politiques de tous bords se brisent les uns après les autres". Ses prises de positions, exprimées en public, lui ont valu, à nouveau, l’ire des hautes instances. Le 21 avril dernier, le directeur général de la gendarmerie nationale, Denis Favier, a confirmé que le général Soubelet était "appelé à changer d'affectation dans les jours qui viennent". Deux jours plus tard le militaire a été démis définitivement de ses fonctions par un décret publié au Journal Officiel. Son livre choc est d'ors et déjà vendu à 40 000 exemplaires. FG