Paul Klee, l’ironie à l’oeuvre

Publié le 02 mai 2016 par Jebeurrematartine @jbmtleblog

Du 06 avril au 1er août 2016, le Centre Pompidou propose une exposition aussi enthousiasmante que belle. Fondamentale.

(C) Claire Parizel – Centre Pompidou

Né en 1879 en Suisse, Paul Klee se forme à l’école des Beaux-Arts de Düsseldorf avant de voyager dans l’Europe des avant-gardes qui sera bientôt déchirée par la Première Guerre Mondiale. La scénographie de Laurence Fontaine propose un parcours chronologico-thématique permettant de situer l’artiste dans ce contexte. Initiation au Cubisme au contact de Braque et Picasso, intérêt pour le théâtre et la mécanique, engagement auprès des constructivistes, attention à la temporalité en résonance à la pensée de Walter Benjamin, son ami. On connaît aussi son engagement au Bauhaus dès les années 1920, mais on oublie souvent que l’enseignement qu’il y dispense ne concerne pas seulement la peinture : il officie dans des ateliers d’orfèvrerie, de vitrail mais aussi de reliure. D’une vitalité aussi radicale que discrète il laissera à sa mort, en 1940 en Suisse, plus de 10 000 oeuvres aux techniques, formats et factures extrêmement diversifiés.

L’oeuvre de Paul Klee semble flotter, diffuse et poétique, dans le champ de l’art moderne. Son nom évoque à la fois des partitions musicales aux atours synesthésiques, ainsi qu’en rendait compte l’exposition de 2011 à la Cité de la Musique, mais aussi des dessins d’enfants, pour lesquels il a eu une attention toute particulière. Alors, pourquoi parler d’ « ironie » pour désigner le travail de cet artiste à ténacité toute de discrétion qui dépose des couleurs aux variations si subtiles que leur finesse devient douceur ?

C’est que l’ironie, très clairement située dès les premières salles de l’exposition, est une façon pour Paul Klee d’échapper au Romantisme allemand qui est alors synonyme de nationalisme. Rien d’étonnant à cela, puisque le XIXè siècle est une période charnière de constitution des identités nationales en Europe. Plus encore, après un séjour en Italie en 1901, l’artiste comprend qu’il ne pourra être qu’un « imitateur contraint à perpétuer un idéalisme classique qu’il juge dépassé ». Pour Klee, la satire est contestation politique et idéologique autant qu’une façon de chercher une vitalité artistique. On découvre avec bonheur ses premières gravures d’une qualité aussi exceptionnelles qu’elles différent de ses travaux ultérieurs. Les personnages grotesques qu’ils figurent semblent dériver en droite ligne des noirs tourmentés d’un Alfred Kubin qui se serait laissé inspirer par des héros Grecs.

La suite de la scénographie montre l’évolution des recherches de Klee au contact du cubisme, ainsi que des travaux sur la couleur des Delaunay. L’exposition propose des pièces d’une qualité exceptionnelle rendant compte de son talent merveilleux de coloriste. La Croissance des plantes de 1921, huile sur carton aux tons plus tranchés mais tout aussi réjouissants témoigne de son intérêt pour le rythme puisqu’il y figure différentes étapes selon des couleurs de plus en plus claires jusqu’à une éclosion pâle et intense.

(C) Claire Parizel – Centre Pompidou

On découvre ensuite des marionnettes initialement réalisées par Klee pour les neuf ans de son fils en 1922. Cinq pièces parmi les trente conservées sont exposées. Bien que Klee n’appartienne pas au groupe Dada, l’inventivité dont elles témoignent est aussi réjouissante que devaient l’être leurs séances au Cabaret Voltaire six ans plus tôt. Si les marionnettes sont toutes très différentes et symboliquement puissantes, leur facture extrêmement simple donne à voir l’intérêt de Klee pour l’expérimentation et la multiplication des matériaux; curiosité qui est aussi visible dans son travail proprement pictural. On sait que ces marionnettes ont ensuite été utilisées par les étudiants du Bauhaus afin de singer les professeurs dans des spectacles de fin d’année… Pour Klee, l’enseignement se devait de donner des codes, des éléments de structure mais devait échapper à une posture dogmatique. Ce souci de la subversion se retrouve aussi dans certains de ses tableaux qui convient d’une façon aussi douce que radicale un imaginaire érotique où se côtoient des pulsions ambiguës.

Dans Analyse de différentes perversités de 1922, les mécanismes assemblés en une machine compliquée deviennent un instrument de torture à faire sortir l’intériorité des corps qui s’y soumettent. De la même façon Explosion de 1927 est un pied de nez face aux critiques de l’avant-garde constructiviste, qui qualifie sa posture d’individualiste. L’art de Klee ne souscrit en effet pas à l’esthétique industrielle objective et à la facture géométrique qui détache l’oeuvre tant de son contexte de fabrication que de la sensibilité de son producteur. Les constructions géométriques de la partie gauche semblent parodier les propositions constructivistes de Malevitch avant d’imploser en un dégradé aérien sur le côté droit de la toile.

Il est impossible ici de parler de façon exhaustive de cette exposition aussi riche que complexe, mais un dernier point mérite d’être signalé. C’est celui de l’engagement de Klee face au nazisme, qui répond à son engagement face au nationalisme. Un engagement discret mais radical, qui refuse de souscrire à des règles inacceptables. Klee ne donnera jamais les preuves requises par le parti afin de montrer qu’il n’appartient pas à une famille juive mais répond à cette injonction de façon aussi tendre que radicale avec Ton aïeul ?. La couleur à la colle sur papier carton figure un individu à l’apparence simiesque, au sourire hilare et aux yeux féroces. Cette posture l’exclura du milieu académique allemand, ainsi qu’il l’exprime sur Rayé de la liste en 1933 : une huile sur papier carton qui affirme avec force son engagement pictural et politique.

Pour toutes ces raisons, cette exposition est aussi belle que stimulante. Elle montre une inventivité, une curiosité, et une sensibilité à l’expression aussi douce qu’intransigeante, aussi tendre que ferme. Elle est un témoignage d’une immense richesse qui ne se trouve pas dans l’affirmation radicale et la puissance mais dans l’attention aux échanges, à l’expérimentation et à la matérialité ainsi qu’en témoigne la diversité des supports et des techniques utilisées. Plus que par son seul travail de graveur, coloriste, peintre ou professeur, Klee nous inspire de toute sa complexité, donc son humanité.

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« Paul Klee, L’ironie à l’oeuvre » au Centre Pompidou
Jusqu’au 1er août 2016
de 11h00 à 21h00

Galerie 2
Plein tarif : 14€ / Tarif Réduit : 11€
Classé dans:Expositions Tagged: abstrait, allemagne, art, art moderne, beaubourg, centre pompidou, paul klee