C'est ainsi que mes enfants ont appelé la partie de terrain abandonné à la nature et appartenant à Hydro-Québec derrière chez nous et vis-à-vis notre voisin de droite.
Plus jeunes, ils allaient tous deux y jouer à l'occasion et y découvraient toujours toute sorte de choses. Le terrain est abandonné à la nature, mais il est aussi abandonné à la négligence des hommes. On y trouve des pneus, des pots de jardins, des pierres et surtout des surplus de terre et de branches coupées un peu partout.
D'ailleurs plusieurs de ces branches , c'est bien moi qui les ai coupées car certains de ces arbres poussent un peu trop croche et ils tanguent sur notre terrain ou encore des branches grimpantes envahissent nos arbres. Le contenu de ces arbres vole aussi au 4 vents et vient plonger dans nos piscines à moi et à notre voisin de gauche. J'étais donc en mission de liquidation. Scie en main, lunettes de protection aux yeux, détermination nulle.
Ça faisait exactement 4 semaines que j'avais sur ma "liste de choses à faire" le mot planète, signée de la main de l'amoureuse. La première semaine, j'ai fait semblant de ne pas comprendre et je lui ai acheté des fleurs en lui faisant la promesse qu'un jour je l'inviterais sur cette planète que je connais, une planète juste pour elle et moi, où nous ne pourrions que nous aimer sans relâche, car c'était la planète de l'amour perpétuel dans la galaxie infinie. Elle a bien vu ma mauvaise foi et a précisé que promesse contre promesse, "aimerait bien ça" que "quelqu'un" s'occupe des branches qui envahissent notre chez nous, issues de la planète aux trésors.
"Liste de choses à faire" c'est toujours une liste aléatoire où il est possible que je fasse ce qui y est suggéré, mais il est aussi fort possible qu'un film ou un livre se mette dans le chemin de mes heures de congés et m'empêche de faire ce qui y est inscrit. Une même liste, surtout l'été, peut survivre deux à trois semaines. Parfois des mois, voire des saisons quand je ne suis pas consulté sur une décision.
Armé de magnifique musique dans mes oreilles, j'avais d'abord la mission de débarrasser de la vue de l'amoureuse le lion qui se trouvait déjà ici quand la maison a été achetée en 2002. Je l'ai placé à l'entrée de la planète aux trésors.
Me rendant vers le premier tronc visé qui, non seulement envahissait chez nous, mais envahissait aussi le toit du cabanon du voisin de droite, j'ai sursauté.
Le corps d'un oiseau dont la tête est plantée dans le sol. Wach!
La superstition dit que lorsqu'un oiseau mort atterrit à vos pieds, une mort humaine est prochaine.
Ce n'était pas le cas. Cet oiseau était déjà mort quand je l'ai découvert. Mais ça m'a fait penser à cette fois en 2003, quand la meilleure amie de l'amoureuse, atteinte d'un cancer à 32 ans, était chez nous et qu'un oiseau était venu s'écraser entre les jambes de son chum qui se balançait dans notre balançoire autour de notre piscine. Un affreux présage nous avait tous parcouru. Julie est décédée 5 mois plus tard. Quand le grand-père de l'amoureuse est décédé, un jour avant, un oiseau avait foncé tête première dans notre vitre avant. Mourant sous nos yeux.
La planète aux trésors nous est fatigante. On y devine plusieurs caches à moufettes, ratons-laveurs, marmottes, que nous retrouvons tous l'été, très à l'aise autour de notre piscine qui leur sert de large abreuvoir. Les branches de sapins que j'ai moi même laissé sur cette planète servent de splendide toiture aux bestioles qui voudraient s'y faire un abri pour l'hiver. Et elles le font probablement.
J'étais donc dans un drôle d'état, fragile, nerveux. Alors quand j'ai, de mon épaule, accroché une branche traînante, j'ai cru que c'était elle qui me happait volontairement et j'ai crié comme un con.
MWOUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH!
Comme un con.
J'ai regardé autour, rien. Personne ne m'avait vu. Peut-être m'avait-on entendu. Je me suis caché dans le bois. Mal, J'étais facile à trouver. Après un temps, mes yeux ne lâchait plus cet oiseau mort. Étais-ce la mort en sursis?
J'ai commencé mon émondage, mais très vite je me suis trouvé emmêlé dans mon fil de casque d'écouteur, ainsi que dans les branches grimpantes. Chaque place où je posais un pied, je sentais qu'une bestiole pouvait en sortir, offusquée, enragée, apeurée, très certainement dérangée par ma présence. Je tremblais. Fragile je vous dis.
Une fois sorti de la planète aux trésors, je me suis aperçu qu'il me manquait un gant. Cochonnerie! je devais revenir sur ce terrain incertain qui me donnait des frissons, Partout autour, des caches où pouvaient se trouver bien des créatures.
En faisant vite, je me suis à nouveau embourbé dans les branches grimpantes et j'ai poussé un autre grognement. Charlot dans la forêt. En sortant de la planète aux trésors, avec mes deux gants cette fois, c'est un cri de femme que j'ai entendu:
"AAAAAAAAAAAAHUNTEEEEEEEER!"
C'était la voix déchirée de l'amoureuse.
Je m'étais rasé complètement la barbe, elle ne m'avait pas reconnu de loin, j'avais enfilé du linge que je ne porte jamais pour faire un job que je fais jamais, un job de marde, ce n'est ABSOLUMENT PAS dans mes habitudes de travailler sur le terrain, et avec mon gros casque d'écouteurs sur les oreilles, j'avais tout de l'imposteur envahissant le terrain d'une jolie proie.
"HEY!!" a crié un voisin de son balcon dans les blocs plus loin.
"KOSS TU FAIS LÀ?"
"CHU CHEZ NOUS VIARGE!"
Il a hésité. puis as repris:
"KOSS TU FAIS PAREIL?"
"J'ÉCOUTE SIMPLE MINDS" que je lui ai répondu avec mauvaise foi.
Déjà que je faisais l'effort de faire "des affaires de maison", fallait pas me reprocher quoi que ce soit.
"AVEC UNE SCIE?" a-t-il dit, insistant.
Avoir eu une scie électrique en main, je l'aurais alors actionnée. Un grand bruit pour faire peur à ce chien dans mon allée de branches. Mais comme je n'avais qu'un scie normale, j'ai eu le réflexe parfaitement idiot de faire le bruit de ce que ferait une scie électrique avec ma bouche...
Ce qui pouvait aussi donner l'impression que j'imitais un bébé qui pleure de colère.
La gars a ri avant de s'allumer une clope.
Quand je suis entré dans la maison, l'amoureuse, Punkee et Monkee étaient blottis au deuxième, cachés dans le garde-robe.
Journée ridicule au calendrier.
Toujours fameusement horrible quand un homme de condo joue à l'homme de terrain.
Heureusement ma musique était, comme toujours, bonne.