Le programme demander le programme ! Le dernier programme du dernier spectacle de sa programmation à l'initiative du futur ex directeur Frédéric Franck A acheter absolument c'est un programme que certains considèrent comme un livre rare et d'autres comme un prétentieux manifeste au sein du théâtre privé. Je le lis depuis ce matin après avoir vu cette dernière bande mise en scène par Peter Stein avec le méconnaissable Jacques Weber qui révèle l'extrême sensibilité, humanité du texte de Beckett, du coup on s'attache au moindre signe et cette nuit j'ai fait des rêves si étranges... Faites vous un peu violence certains amateurs et allez voir cette œuvre ultime.
Le théâtre de l'Oeuvre ne sera jamais plus comme avant, forcément. Regardez l'Olympia racheté aussi par Vivendi... On garde l'enseigne et aussi les artistes mais comme pour des RDV sans rencontre d'âme et de renouveau de nos rêves, ils deviennent autant passants que les publics.Dans ce programme il y a une lucide analyse de 4 pages de son échec on apprend ainsi beaucoup aussi sur la gestion d'un théâtre privé. La différence de jauge ou capacité maximum d'un théâtre entre le théâtre de la Madeleine, le précédent théâtre géré avec plus de succès alors que deux fois plus grand, par F.Franck, et celui de l'Oeuvre.Il y a dans ce programme plein de resources historiques et littéraires et artistiques sur Lugné Poe et son époque les symbolistes et les dadaïstes, ici une photo d'André Breton en homme sandwich avec une phrase choisie et une cible désinnée par Picabia.
Sans parler du texte de la pièce et de beaucoup de choses sur Beckett sa vie son œuvre dont ses mises en scènes.
C’est avec La Dernière Bande de Samuel Beckett dans la mise en scène de Peter Stein avec Jacques Weber que s’achèvent les quatre années de Frédéric Franck passées à la tête du Théâtre de l’Œuvre. A la rentrée, Benoît Lavigne et François-Xavier Demaison dirigeront le théâtre, racheté par le groupe Vivendi, déjà propriétaire de l’Olympia. L’édifice de la cité Monthiers qui a d’abord été une salle de concert à la fin du 19ème siècle est devenu un théâtre sous l’impulsion du comédien Lugné-Poe qui installe sa compagnie en 1919 pour y défendre un répertoire exigeant. En 1960, Pierre Franck et Georges Herbert prennent la direction du théâtre. En 1978, Georges Wilson devient directeur artistique et signe les principales mises en scènes. En 1995, Gérard Maro, qui dirigeait la Comédie de Paris depuis 1981, prend la direction du Théâtre de l’OEuvre et le rénove. En 2012, Frédéric Franck, jusqu’ici directeur du Théâtre de la Madeleine (et fils de Pierre Franck qui avait dirigé la salle 50 ans plus tôt), lui succède. Il choisit d’y monter Beckett, Roussin, Céline, Molière, Fassbinder dans des productions qui ne trouveront pas leur public malgré une très grande qualité.
Dans le 19ème et dernier programme, le plus beau – à conserver dans ses archives – Frédéric Franck revient sans aucun tabou sur son échec et précise sa vision du théâtre, qui n’est ni un théâtre public, ni un théâtre privé mais qui est tout simplement un théâtre au service de la qualité artistique. Nous vous en livrons quelques extraits.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
« La vocation commerciale pervertit le rapport entre celui qui crée et son objet de création au point d’en altérer la réalisation. La commercialisation ne peut en légitimité que suivre et en aucun cas précéder les phases de conception et de réalisation, encore moins en dicter le contenu comme notre époque en a pris l’habitude. À rebours de tous ceux qui s’affairent à mettre le succès en équation, j’ai le goût de l’incertitude. Je crois que si le point de départ d’une aventure – toujours un assemblage d’hommes et de femmes autour d’un texte – doit être clairement pensé et rigoureusement ordonné, son point d’arrivée ne peut que nous échapper puisque seul le travail artistique a pour objet de le cerner avec précision. À chercher sans relâche à faire des succès, on finit par cesser tout à fait de faire du théâtre.
Rentabiliser un théâtre ne m’intéresse pas. Ce qui me concerne davantage, c’est de rentabiliser un projet artistique qui trouve sa place dans un théâtre. Mais avec L’Œuvre, j’ai échoué. Il ne faut jamais se cacher de ses échecs. Même si l’on travaille pour son mythe – autrement dit pour nourrir une sorte d’absolu de soi-même – il faut rendre grâce à l’échec de nous faire les antihéros que nous sommes toujours inévitablement. Je pars sans tristesse car je peux me reconnaître tout entier dans cet échec et à tout prendre, il vaut mieux un échec qui nous ressemble qu’un succès qui nous déforme. À y regarder d’un peu plus près, cet échec dessine même l’autoportrait le plus ressemblant de celui que je suis et à ce titre il mérite plus encore que bien des succès ma pleine gratitude. Au demeurant et de façon plus universelle, la prégnance de nos rêves est telle que l’existence travaille toujours à nous révéler que nous ne sommes en définitive jamais rien d’autre que ce que nous avons raté.
(…)
Le théâtre privé n’est pas condamné par avance au désastre de la grossièreté et du racolage. Ni le théâtre privé ni le théâtre public n’induisent un contenu spécifique et invariant dont leurs acteurs deviendraient les prisonniers et qui les dispenseraient de toute pensée et de tout travail. L’un et l’autre ne sont à hauteur de théâtre que le reflet de l’économie mixte au sein de laquelle nous opérons. Le théâtre est fait par les hommes et les hommes ne peuvent jamais être réduits à de prétendus intérêts économiques dont ils ne seraient que les jouets comme si la solitude et l’effroi que chacun peut ressentir en découvrant l’obsolescence programmée du corps humain et l’inéluctabilité de la mort étaient suffisamment anecdotiques pour ne pas générer une pluralité de projets de vie. À la question « que faire du temps qui reste ? », la seule qui vaille, il existe bien d’autres réponses que « continuer à faire ce que tous les autres font déjà, en l’espèce du théâtre privé ou du théâtre public » soit l’éloge du conformisme.
Mais si le théâtre est fait par les hommes, il est aussi fait pour les hommes. Et depuis 2012, L’Œuvre n’a affiché « complet » que quatre mois, deux mois avec Voyage au bout de la nuit, deux mois avec Le Misanthrope dont les exploitations respectives ont largement excédé ces durées. Comment financer quatre ans d’activité par quatre mois de remplissage ? Sur une vingtaine de spectacles produits, la moyenne était de jouer devant 133 spectateurs pour le travail d’artistes dont l’excellence était pourtant très largement reconnue. Je passe sur les salles de 50 personnes – voire moins – pour des spectacles hautement estimables si j’en crois les observateurs. Les beaux, vrais et pleins succès de Un amour qui ne finit pas (2015) et Qui a peur de Virginia Woolf ? (2016) n’ont mobilisé en moyenne que 183 spectateurs par représentation pour le premier et 181 spectateurs pour le second. L’erreur que j’ai sans conteste commise est de croire qu’une salle de 350 places était deux fois plus facile à remplir qu’une salle de 700 comme La Madeleine par exemple.
Extrait de l’édito de Frédéric Franck dans le dernier programme du Théâtre de l’Œuvre –
L'avis critique d'Yves-Noël Genod via FB sur cette version de La dernière bande ...et le bel aujourd'hui
« Le vierge, le vivace et le bel aujourd'huiVa-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivreCe lac dur oublié que hante sous le givreLe transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ! »
Enfin du frais, du neuf, du surprenant ! Je désespérais de Paris, après les merveilles que nous avons faites à Lyon cet automne, je n’en revenais pas de voir le niveau des spectacles à Paris, le niveau du théâtre — à part la famille, bon, les Gwenaël Morin, à Nanterre, ou les Grand Magasin (toujours à Nanterre), tout le reste était juste coincé et anti-théâtral au possible. On finit par aimer ce qui est raté. Le théâtre, ça doit être vivant — et, évidemment, ce n’est pas avec ces saisons qui se font deux ans à l’avance que ça peut aider… Mais voici une chose qu’on dirait sortie de l’œuf, née dans la semaine, apparue à l’exact moment où vous la voyez, à l’exact moment où vous en avez besoin, quelque chose pour vous sauver la vie. Je ne vais pas m’étendre, ce n’est pas la peine. C’est la deuxième fois seulement que je vois une belle représentation de Beckett. La première fois, c’était Madeleine Renaud avec 'Oh les beaux jours'. J’ai loupé l’'En attendant Godot' de Jean-Pierre Vincent. Il paraît que c’était bien. Mais je n’ai pas loupé Serge Merlin dont on disait aussi le plus grand bien : c’était a-troce. Là, c’est absolument parfait, absolument profond, absolument inouï. Un des plus beaux spectacles de ma vie. Jacques Weber s’est rougi le nez et il ressemble vraiment à Depardieu, peut-être qu’il le joue, sans doute, je n’ai pas osé le lui demander. Il ressemble aussi à Thomas Scimeca. Donc on a Gérard Depardieu dans Beckett. (Pour dire le niveau.) C’est mis en scène par Peter Stein (pour dire le niveau). Enfin, bref, il y a un accord inouï entre Jacques Weber, Peter Stein et Samuel Beckett. C’est juste parfait. Tout le monde est là. Tout le monde est ensemble. Une horlogerie de l’être ensemble. Jacques Weber lance des peaux de bananes dans le public. Le poème dont je rêvais comme d’un seul spectacle, un spectacle d’un seul poème — car un poème suffit pour tout dire —, il est là : si peu de mots, si parfaits, on entend deux fois l’un des plus beaux poèmes de la langue française, l’un des plus beaux poèmes d’amour de la langue française, de l’émotion française, Beckett, bien sûr, poème d’amour, bien sûr, dans une barque, connaissez-vous d’autres sortes d’amour ?