Yvon Le Men.
Depuis la popularisation –le bloc-noteur y contribua modestement– de ce véritable scandale digne d’une action du Medef, un élan de solidarité et de générosité s’était rapidement concrétisé en sa faveur. Les dons ont afflué, à hauteur du préjudice, pour réparer au moins financièrement cette entrave à la création. Car, sachez-le, le poète breton possède une particularité certainement unique dans notre pays : il est le seul poète à vivre des lectures qu’il dispense, devant des salles combles, où s’entassent des centaines de personnes irradiées par ses œuvres. Son dernier opus, ''les Rumeurs de Babel'' (éditions Dialogues, illustrations d’Emmanuel Lepage), ne déroge pas à la règle. Yvon Le Men a passé trois mois en résidence au cœur d’un quartier populaire de Rennes, celui de Maurepas, construit à l’époque des Trente Glorieuses pour accueillir les ouvriers de l’usine Citroën qui «découvraient en même temps / les trois / huit et le confort». Il a rapporté de ce séjour temporaire un livre rare et précieux, une sorte de reportage réaliste mis en poésie, dans lequel il raconte la vie quotidienne des habitants, leurs plaisirs et leurs difficultés, leur beauté et leurs inquiétudes, leurs douleurs et leurs espoirs. «Moi qui ne suis / que de passage / sur leur passage.» Des mots amples et lumineux, rehaussés par une écriture pénétrante et visible au premier effleurement. «Nous sommes ensemble par le bruit qui déborde de partout.» Une ode aux bâtiments vétustes et à ceux qui tentent d’y progresser malgré tout, les chômeurs, les étrangers, les précaires, les exclus de la société, les amoureux de la solidarité humaine. «À Maurepas / dix pour cent des gens vivent avec / devinez quoi? / soixante-sept euros par mois / quand on sait / vous ne le savez peut-être pas / qu’à Maurepas / cinquante pour cent des gens vivent avec / devinez quoi? / neuf cent trente et un euros par moi.» Et dire que certain(e)s cherchent encore la définition même de l’écrivain… [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 29 avril 2016.]
Le poète, aussi, est une définition de la littérature.
Numérique. Les rencontres littéraires parisiennes ont ceci d’intéressant qu’elles dispensent la plupart du temps des rencontres prévisibles, à l’instar de ces voyages organisés qui consentent à l’ordinaire des petits riens qui composent soi-disant une existence exaltante. L’autre jour, une auteure plutôt talentueuse et pourtant médiatique s’interrogeait, en mode provoquant: «L’écrivain est une “espèce” qui ne se définit pas, qui n’existe pas.» Et elle poursuivait: «L’écrivain est caractéristique de l’épicentre de la dialectique de reconnaissance. Pour que son “œuvre” soit éventuellement reconnue comme “littéraire”, elle doit être au moins publiée. Mais si elle devient publique, elle se doit d’être “reconnue”. Or, une qualité littéraire supposée ne dépend pas des lecteurs et encore moins de “ses” lecteurs.» Ainsi semble-t-il délicat de déterminer précisément ce qu’est l’écrivain, sans parler de sa fonction sociale qui ne s’inscrit pas mécaniquement dans la société comme l’un de ses rouages. D’ailleurs, un très bon livre –voire un chef-d’œuvre– peuvent très bien ne pas être écrits. En somme, personne ne l’attend. Sauf l’auteur. Et, éventuellement, un éditeur. Le dilemme paraît donc fracassant pour qui s’y exerce. Au moins pour une raison: la définition même de l’écrivain n’est-elle pas que, a priori, celui-ci n’écrit jamais par défaut? À partir de ce raisonnement, une question alors se pose: et les livres dans tout ça? Et même une question plus dérangeante par les temps qui courent: et les poètes dans tout ça? Poésie. Connaissez-vous Yvon Le Men? Ici même dans cette chronique, nous avions narré sa mésaventure avec Pôle emploi (lire le bloc-notes du 3 octobre 2014), qui, en juillet 2013, avait lancé contre lui une procédure de contrôle alors qu’il bénéficiait du statut d’intermittent depuis 1986, avant d’être ni plus ni moins radié rétroactivement de ce régime et condamné à rembourser les indemnités perçues depuis 2010, soit 29 796 euros.