Partager la publication "[Critique série] THE GIRLFRIEND EXPERIENCE"
Titre original : The Girldfriend Experience
Note:
Origine : États-Unis
Créateurs : Lodge Kerrigan, Amy Seimetz
Réalisateurs : Amy Seimetz, Lodge Kerrigan.
Distribution : Riley Keough, Paul Sparks, Mary Lynn Rajskub, Kate Lyn Sheil, Alexandra Castillo, Amy Seimetz…
Genre : Drame/Adaptation
Diffusion en France : OCS
Nombre de d’épisodes : 13
Le Pitch :
Étudiante en Droit, Christine débute à peine un stage dans un prestigieux cabinet d’avocats. Influencée par une amie proche, elle rentre petit à petit dans le monde des escort girls afin de financer ses études. Tout d’abord curieuse, elle se prend vite au jeu, au détriment de sa carrière…
La Critique :
Steven Soderbergh a supervisé cette adaptation télévisuelle de son film, sorti en 2009, qui avait notamment fait parler de lui à cause de la présence devant la caméra de Sasha Grey, l’ancienne star de films exotiques pour adultes.
Une série pilotée par l’actrice/réalisateur/productrice/scénariste Amy Seimetz et par le réalisateur Lodge Kerrigan. Seimetz et Kerrigan qui ont non seulement créé le show, avec l’aide de Soderbergh, mais aussi écrit tous les épisodes, sans oublier d’en réaliser la moindre image. De quoi assurer la transition et imposer un univers qui, si il conserve plusieurs éléments du long-métrage de Soderbergh (une large part de son identité visuelle entre autres détails), brille également par sa propension à exister par lui-même. La cohérence est bien au rendez-vous. Ce qui est souvent le cas quand on parle de séries pilotées par un nombre limité de personnes. Des séries ou des anthologies comme The Girlfriend Experience, qui a donc été pensé comme une série d’une seule saison (à priori, car un revirement n’est jamais à exclure).
Inutile d’avoir vu ou apprécié The Girlfriend Experience pour comprendre et aimer la série. Les deux se ressemblent certes, notamment de par leur sujet, mais c’est tout. Autant dire sinon, qu’il est impossible de s’entendre avec quelqu’un car son frère est un crétin ou que sa tronche ne vous revient pas. Vous voyez le genre…
Bref, on suit ici une jeune femme bien sous tous rapports, qui fait son entrée dans le monde confidentiel et sulfureux des escort girls. Issue d’un milieu relativement aisé, mais pas trop non plus, cette dernière, Christine, étudie le droit et se destine à une brillante carrière d’avocate, mais elle aime aussi le sexe et n’éprouve pas le besoin d’accorder de l’importance à des choses qu’elle considère futiles ou sans importance comme l’amour. Elle est belle, distinguée et aime se faire désirer. Elle est également sûre d’elle et de son pouvoir de séduction.
Pour incarner le rôle, les deux showrunners ne pouvaient guère rêver mieux que Riley Keough, une jeune actrice aperçue récemment dans Mad Max : Fury Road qui, si son nom ne vous évoque peut-être pas grand chose, fait d’une certaine façon pourtant partie intégrante de la grande histoire de la culture populaire américaine, vu qu’il s’agit de la petite-fille d’Elvis Presley. Aussi sublime que charismatique, dotée d’un charme naturel qui attire la lumière et l’attention, Riley Keough est la pièce maîtresse de la série. C’est elle qui cristallise toutes les thématiques qu’entend illustrer le show tout en en incarnant les valeurs.
Ainsi, jamais, notamment grâce à la comédienne, The Girlfriend Experience ne sombre dans le sordide. On ne parle pas ici de prostitution au sens le plus connu du terme, mais bien d’escort girls haut de gamme, qui louent leurs charmes à des hommes fortunés tout en exerçant un contrôle total sur leurs activités, qui si elles sont répréhensibles de la même façon par la loi, n’attirent pas autant l’attention des autorités pour la simple et bonne raison qu’elles prennent place dans les palaces et autres propriétés privées à plusieurs millions de dollars. Ce qui ne veut pas dire que le spectacle se prive de tout montrer, bien au contraire…
On se demande alors dans un premier temps où vont nous mener ces 13 épisodes. Avec sa photographie glaciale, sa musique, signée Shane Carruth, qui évoque les meilleures heures de Cliff Martinez, l’un des compositeurs fétiches de Soderbergh (par ailleurs également ancien batteur des Red Hot Chili Peppers) et sa mise en scène très proche des personnages, qui réagit au diapason de leurs émotions, le show repose aussi sur un scénario plus malin qu’il n’en à l’air, notamment par sa propension à embrasser de manière progressive certains des codes du thriller.
Amy Seimetz et Lodge Kerrigan orchestrent avec goût et mesure la progression de leur récit. Remarquablement amené, celui-ci prend le temps mais ne se pose jamais vraiment. Peut-être est-ce dû au format un peu bizarre de la série (les épisodes font tous entre 23 et 30 minutes), mais on ne s’ennuie jamais devant The Girlfriend Experience. Chaque chapitre réservant son lot de rebondissements savamment intégrés à l’histoire pour lui offrir par la suite l’occasion de progresser sans se perdre. Limpide, la série est vite passionnante et addictive, sans jamais se départir de cette identité mystérieuse qui interdit quasiment aux spectateurs de deviner où va se terminer l’histoire de cette escort girl.
Alors que le film de Steven Soderbergh prenait pied sur la crise financière pour justifier d’une certaine façon les agissements de son héroïne, la série préfère tabler encore plus sur une certaine ambiguïté, de plus en plus tangible, mais brosse aussi un portrait sans concession d’une société capitaliste dont elle souligne l’aspect carnassier. Il suggère que Christine va arrêter quand elle va se rendre compte de tout ce que sa nouvelle vie implique, mais ne cesse également de suggérer qu’en fait, il n’en sera rien. À nous de démêler le vrai du faux. Cela dit, le show ne verse jamais non plus totalement dans l’abstrait. Il brouille les pistes mais sait aussi rester maître de son intrigue pour faire évoluer son personnage principal, alors que se referme sur elle un étau dont elle saura (ou pas) gérer la pression pour au final, pourquoi pas, s’en servir à son avantage.
Pas manichéenne pour deux sous, The Girlfriend Experience se garde aussi bien de juger ses personnages. Qu’il s’agisse de Christine ou de ses clients. C’est l’une de ses grandes forces. C’est Riley Keough qui donne le ton et c’est donc aussi elle qui dans un sens nous indique de quel façon nous devons percevoir ses actes. Sans jamais chercher à s’attirer la sympathie des spectateurs, en se montrant parfois carrément antipathique, elle met en exergue une complexité souvent mise de côté par les œuvres trop unilatérales qui ont pu, par le passé, traiter du même sujet.
Visuellement extrêmement soignée, cette série fait montre d’un caractère frondeur en somme toute assez rare. De la même façon que Flesh and Bone, l’anthologie sur la danse, également produite par la chaîne Starz (le network qui monte), The Girlfriend Experience est le portrait d’une génération en mal de repères mais surtout à l’écoute de ses besoins, de ses désirs et de son ambition. Une ambition trouble mais bel et bien présente que Christine compte bien assouvir par tous les moyens, tout en fixant elle-même ses propres règles.
D’une dévotion assez impressionnante, la descendante du King domine une distribution dans laquelle on peut retrouver des têtes connues, comme Paul Sparks (House of Cards) et Mary Lynn Rajskub (la Chloe de 24). Elle se donne corps et âme et ne cesse de nourrir le caractère sulfureux du spectacle avec une délicatesse brutale (oui c’est contradictoire mais il faut voir la série pour comprendre qu’en fait, ici, c’est tout à fait approprié) et une force indéniable. Très explicite, elle joue, tout comme la série, avec les limites, s’en rapproche toujours un peu plus, mais ne cède pas à l’appel d’une vulgarité crasse, histoire de ne rien sacrifier de sa condition première.
Belle réussite, The Girlfriend Experience s’avère aussi prenante que fascinante. À la lisière du thriller, elle repose sur un érotisme omniprésent, même dans les situations les plus banales, jouit d’une écriture au cordeau parfaitement cadencée et inspirée et d’une audace de tous les instants. Et si , une fois le dernier épisode terminé, on regrette qu’il s’agisse d’une anthologie et non d’une série, on se dit aussi que c’est certainement préférable. L’ultime plan se chargeant, avec toute l’ambiguïté qui jusqu’alors, a offert au récit son originalité et son caractère, de conclure sur une note parfaitement raccord avec tout ce qui a précédé.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : OCS/Starz