Excellente nouvelle pour les amateurs d’exploration spatiale, cette semaine, alors que SpaceX annonçait mercredi son intention d’envoyer une capsule automatisée Dragon sur Mars d’ici à peine deux ans. Mais avant de préparer une petite veste pour un prochain voyage vers la Planète rouge, il faudra sans doute prendre son mal en patience.
Voilà en effet des siècles que les humains rêvent de Mars, et des décennies que l’on nous promet une expédition habitée à l’aide de diverses technologies, des plus folles, comme la propulsion nucléaire, aux plus classiques.
Fort de la tentative enfin réussie de ramener un lanceur Falcon 9 en un seul morceau sur la barge océanique Of Course I Still Love You (on s’ennuie franchement du défunt Ian M. Banks et de sa Culture), l’exubérant entrepreneur Elon Musk a décidé d’aller de l’avant avec un nouveau coup d’esbroufe. D’où cet échéancier complètement fou visant à envoyer une capsule Dragon sur la planète rouge d’ici 2018.
Rêve d’enfance
Bien entendu, ce vol test s’inscrit dans le plan à long terme du fondateur de SpaceX : emmener des humains vers Mars… et les ramener, de préférence. À moins que l’idée consiste plutôt à établir une colonie permanente sur la plus proche voisine de la Terre?
Ce rêve, depuis toujours confiné à la science-fiction, donne soudainement le tournis. Car l’énergie, l’enthousiasme et la vitesse des progrès de SpaceX laissent croire que l’humanité pourrait bien mettre le pied sur Mars avant les années 2030. Un peu moins de 130 ans après le premier vol d’un avion, l’espèce humaine serait-elle en mesure d’enfin quitter son berceau et de poser le jalon inaugural d’une expansion stellaire?
Qui dit vol d’essai ne veut pas dire vol habité, drapeau planté sur le sol martien couleur rouille, «high five» avec Opportunity et Matt Damon qui fait pousser des pommes de terre.
Qu’on se le dise, toutefois : brasser la cage en lançant des dates en apparence absurdes est la marque de commerce d’Elon Musk. La tactique date de sa toute première entreprise, avant même qu’il ne prenne les rênes de PayPal. L’astuce a aussi failli causer la perte de Tesla et de SpaceX, et ce à plusieurs reprises. Un peu comme si, par exemple, une certaine Caisse de dépôt et placement du Québec annonçait, en compagnie du maire de Montréal, qu’un nouveau réseau de train électrique de 24 stations serait construit et fonctionnerait entièrement d’ici 2020. Dans un cas comme dans l’autre, les événements passés permettent de douter du respect des échéanciers.
Qui dit vol d’essai ne veut pas non plus dire vol habité, drapeau planté sur le sol martien couleur rouille, high five avec Opportunity et Matt Damon qui fait pousser des pommes de terre. Certes, la capsule Dragon est conçue à la base «pour pouvoir atterrir n’importe où dans le système solaire», clame Elon Musk. Mais entre le rêve et la réalité, il y a un pas à franchir.
Actuellement, cette capsule sert d’espace cargo tout en haut de la fusée Falcon 9 pour transporter du fret vers la Station spatiale internationale (ISS) en vertu d’un contrat de ravitaillement conclu avec la NASA. Éventuellement, jusqu’à sept astronautes pourront prendre place dans un habitacle autrement plus vaste que les étroites capsules Soyouz en service depuis 40 ans et faire le chemin vers l’ISS dans un certain confort.
Chemin parsemé d’embûches
Pour aller jusqu’à Mars, toutefois, c’est une autre paire de manches. Déjà, SpaceX vise 2018 ou 2019 pour un premier test habité du vaisseau Dragon; ensuite, même si l’entreprise dispose d’un vaisseau viable et d’un lanceur adéquat (lanceur qui est encore à l’étape de la conception), Elon Musk et ses ingénieurs devront encore surmonter d’importants problèmes.
Elon Musk devant le propulseur du lanceur Falcon 9.
Car ne va pas sur Mars qui veut. La longueur du circuit, soit environ deux ans et demi, le temps d’y aller, d’effectuer des expériences et de revenir, force à tenir davantage compte de la santé psychologique de l’équipage. Il faut aussi prévoir suffisamment d’eau, d’oxygène et de nourriture pour toute la durée du voyage, en plus du carburant. Si SpaceX va de l’avant avec ses plans martiens, il sera impensable d’utiliser uniquement une capsule Dragon, ou même une combinaison avec une fusée Falcon 9 sur stéroïdes. Peut-être un nouveau vaisseau interplanétaire à partir duquel les astronautes descendraient sur Mars à bord d’une capsule Dragon? Les plans d’Elon Musk ne vont pas jusque-là… pour l’instant.
Où est la NASA?
Autre pierre d’achoppement, l’absence d’aide financière de l’agence spatiale américaine pour la mission d’essai de SpaceX soulève d’autres questions importantes. Oui, la NASA aidera SpaceX avec des conseils d’ordre technique, et les données recueillies par l’entreprise seront partagées avec l’agence fédérale américaine. Mais il ne faut pas oublier que la NASA planche sur son propre plan de mission habitée vers Mars prévue dans les années 2030. Ledit plan comprend une fusée de lancement et une capsule nouveau genre, le tout pour un budget prévu d’un peu plus de 30 milliards de dollars canadiens.
Il sera pourtant essentiel, au bout du compte, que SpaceX et la NASA deviennent des partenaires pour l’exploration de la Planète rouge. Ne serait-ce que parce que la honte serait insurmontable si l’agence ayant envoyé l’homme sur la Lune se faisait damer le pion par une compagnie lancée en 2002 dans un entrepôt de Californie.