Un petit focus sur trois lectures rattrapées en poche ces dernières semaines avec trois écrivains femmes françaises qui développent chacune un univers bien différent les unes des autres, mais toutes assez singulières et addictives…
1. La peau de l’ours, Joy Sorman
« Mon mari m'a répondu que souvent les hommes veulent échapper à leur condition mais qu'ils choisissent alors d'être un oiseau, que les hommes qui veulent être autre chose que ce qu'ils sont veulent voler, certainement pas se métamorphoser en ours pataud et lourd, mais moi je voudrais qu'on me greffe ta redoutable mâchoire, avoir un corps solennel de plusieurs tonnes et courir vite, me baigner sous une cascade grimper aux arbres, être une créature parmi les créatures ».
Joy Sorman développe depuis plusieurs années un univers anticonformisme au possible, très décalé, mais qui n’empêche pas certains questionnements métaphysiques et philosophiques souvent passionnant.
C’est le cas avec son avant dernier roman sorti à ce jour, cette peau de l’ours un conte animalier à mi chemin entre la métamorphose de Kafka et du Freaks de Tom Browning.
Il faut effectivement rentrer dans cet univers en forme de conte, à ce fort singulier voyage dans la peau d'un ours.
Mais le questionnement sur l'inquiétante frontière entre humanité et bestialité, sur la différence par rapport à la norme, que l’on perçoit à travers le regard de l'autre entre métaphysique et fantaisie animalière est à la fois profondément original, déroutant et incisif… A lire.
2. Jacob Jacob, Valérie Zenatti
« A quoi ça sert de faire sauter une pierre sur l'eau ? » avait demandé Gabriel.
« A rien » lui avait répondu Jacob, « mais si tu la tiens assez longtemps, si tu la serres pour sentir ses deux faces lisses entrer dans ta chair, elle fait… »…
Ayant reçu un bel accueil à sa sortie en grand format, le dernier roman en date de la discrète mais talentueuse romancière Valérie Zenatti est profondément personnelle, et autobiographique puisqu’elle troussé une fiction autour de la vie brève de son propre grand-oncle né à Constantine, parti en Europe pour défendre la France Libre, mort sur le front à 19 ans.
Mélange de fiction et de récits familiaux, ce récit pudique et émouvant nous guide dans les rues de Constantine, et nous parle, avec une plume élégante et sensible (On a fait de lui un soldat, le mot contient une autre façon de bouger, s'habiller, manger et dormir, utiliser son corps et ses forces, et bientôt, il voudra dire tuer ou être tué.) de l'insouciance des enfants, de la solidarité malgré la précarité et des affres de la guerre.Un roman tout à la fois remarquable et poignant.
3 Théorie de la tartine, Titou Lecoq
Après les Chroniques de la débrouille recueil sur papier des meilleures chroniques de blog, qui m’avaient permis de faire connaissance l’an passé avec la plume de Titiou Lecoq auteur du blog a succès Girlsandgeeks.com, la sélection du livre de poche du mois d’avril m’a permis de faire plus ample connaissance avec l’univers de cette geek totale à travers cette fois ci une fiction, plus précisément un roman choral ambitieux et puissant qui tisse les liens de trois destins, tous les trois intimement liés au Web, entre 2006, date phare de l’éclatement du net et 2015, année de sortie de cette théorie de la tartine ( le titre n’étant pas forcément le plus judicieux)…Au fil de ces 400 pages de cette saga qui se dévore avec passion, on saura tout des enjeux et des conséquences d'Internet, du tout début quand il était réservé uniquement au "initiés", à son appréhension du grand public et son ouverture au grand capital qui a tout transformé.
Un livre forcément passionnant pour les connectés au web ( j’en connais quelque uns), et si parfois cela peut virer un peu au catalogue théorique sur le sujet (tous les grands dossiers du net sont traités, et même Nadine Morano et Frédéric Lefebvre interviennent dans le récit), on aime beaucoup cette peinture de cette génération qui a tant cru à la liberté qu’offrait la toile et qui dix ans après semble pas mal désillusionnée.
On retrouve comme dans ces chroniques de la débrouille une écriture spontanée et sans effets de style, dynamique, et des personnages, parfois à la lisière de la caricature (le hacker de 19 ans forcément puceau) mais très souvent entiers et attachants, et qui sont un peu nos frères, soeurs cousins, orphelins de ce temps pas si lointain où tout semblait possible sur la toile et qui essaie en vain de se rappeler à quel moment les choses leur ( nous?) ont échappées des mains.