La gamine s'appelait Marysa. Elle avait dix-sept ans quand elle a disparu, un 16 septembre. C'était donc il y a vingt ans. C'est elle l'absente, dans l'ombre de laquelle trois hommes ont vécu pendant ces vingt ans, chacun à sa façon: un jeune homme qui l'aimait, un camarade de celui-ci prénommé Ferdi et le père de Marysa.
Le jeune homme gauche, qui était amoureux d'elle, sans savoir comment lui exprimer ses sentiments, la revoit vingt ans après, la fille d'immigrés: ses longs cheveux noirs et lourds, ses yeux noirs, sa peau fine et pâle, parfois semée de minuscules taches rosées quand elle avait couru ou quand elle était gênée.
Il sait ce qu'il est advenu d'elle: Il était là. Il a tout entendu . Et Olivier Pitteloud le raconte au tout début de son roman, Dans l'ombre de l'absente. Aussi n'est-ce pas le fin mot du drame qui est important. Ce qui est important, c'est ce qui se passe dans la tête des trois hommes qui ont survécu à ce drame et qui ne s'en remettent pas, à des degrés divers.
Ce soir-là, celui de la fête de la jeunesse, le jeune homme a suivi Ferdi et Marysa. Il ne voulait pas savoir ce qui allait se passer dans la baraque du garde-chasse située au bord du ravin, mais ses pas l'y ont conduit comme malgré lui . Marysa y a été violée par Ferdi. Elle a voulu s'échapper, mais elle est sortie par la porte qui donnait sur le ravin...
Du jeune homme, l'auteur ne dit pas trop ce qu'il est devenu, sinon qu'il savait mais qu'il s'est tu, se tait et se taira. Revenu au village, où il ne connaît plus personne, mutique, il regarde la mère de Marysa: Il suffirait de s'avancer, de dire, oui, je sais, elle a chuté, son corps a été happé par la nuit et le vide . Il suffirait. Mais il n'en a pas la force.
Ferdi, le nanti, dont la beauté était celle du diable, est devenu assureur. Revenu au village pour prospecter, il regarde la mère de Marysa et il lui semble bien qu'il la connaît. Il hésite cependant à aller la voir et à lui faire son baratin: Il sent confusément que cela va touiller là où il ne veut rien touiller. Il le sent. Et il n'a pas tort parce que le passé lui revient...
La mère de Marysa regarde son homme aux cheveux blancs, qui ont commencé à blanchir peu après l'absence de Marysa (le seul souci de ce dernier est qu'elle ne le reconnaisse pas quand elle reviendra...): Les yeux sont fermés, mais sur les lèvres, un sourire. Il a l'air heureux [...] mais sans elle, sans elle qu'il a choisie il y a longtemps.
Pour faire connaître au lecteur ce qui se passe dans la tête des trois hommes, l'auteur plonge dans leur passé qui a précédé le drame, explique comment ils le perçoivent vingt ans après et en tire les conséquences pour chacun d'eux: le jeune homme est triste indéfiniment, Ferdi se ressent coupable et le père de Marysa est devenu fou, et vieux...
Francis Richard
Dans l'ombre de l'absente, Olivier Pitteloud, 120 pages, L'Âge d'Homme