Sorti, par un de ces hasards que l’histoire aime nous servir, le jour même de l’attaque des frères Kouachi contre Charlie Hebdo, Soumission est un livre de fiction, issu de l’imaginaire teinté de hyperréalisme de Michel Houellebecq. Son sujet: et si la France portait à sa tête un président musulman? Par curiosité, et par les échos globalement positifs que j’avais reçus à son sujet, je me suis donc lancé dans la lecture, assez facile, de ce roman d’un peu moins de trois cents pages. Je n’ai pas été déçu.
Pour moi, il y a trois niveaux de lectures de Soumission. Le premier, et c’est celui qui a fait parler de lui, c’est de considérer que ce livre est un pamphlet islamophobe. Et il faut bien le reconnaître certains passages donnent de l’islam une vision rebutante, insistant lourdement sur la polygamie, sous une forme particulièrement outrancière puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, que de marier de vieux universitaires à des adolescentes pour assouvir leur appétit sexuel. L’islam y est une religion envahissante, prête à dominer l’Europe, en commençant par la France et la Belgique, avant de ravir les principaux états européens. S’il ne fallait s’arrêter qu’à ce niveau de lecture, ce livre ne vaudrait pas le temps que j’y consacre: pour moi, cette approche relève d’une analyse au premier niveau, alors qu’il ne s’agit que Houellebecq ne fait qu’alourdir le trait pour mieux marquer la satire: passé par différente formes d’écriture, l’auteur manie la dérision avec talent, un peu à la manière de mon blogueur préféré. Pour moi, taxer Soumission d’islamophobie, c’est passer complètement à côté du livre.
Le deuxième niveau de lecture de Soumission, c’est au contraire y reconnaître un recueil de louanges admiratives envers l’islam. Cette religion y apparaît comme la seule capable, de nos jours, d’unifier des peuples, parfois par la guerre mais souvent, aussi, par la diplomatie. Le talent que prête Houellebecq au président Ben Abbes, rejeton des meilleures écoles de la nation, passé par l’ENA en même temps que Laurent Wauquiez, pour redresser le pays est sans équivoque: son parti réussit là où la droite et la gauche ont échoué. Par un tour de passe-passe économique incroyable – renvoyer les femmes à la maison pour réduire le chômage, augmenter les allocations familiales à l’aides des économies réalisées pour relancer la natalité – le parti musulman se montre, dans ces pages, le seul capable d’innover. Même s’il s’agit bien évidemment là encore d’une parodie de programme politique et économique, il ne faut pas se leurrer, Houellebecq voue une admiration sans limite envers son héros, non pas le personnage principal du livre, universitaire sans ambition auquel il s’identifie, mais le président fraîchement élu grâce à un habile marchandage avec les partis jadis majoritaires. Ben Abbes fait preuve de talents diplomatiques insolents. La seule faille, c’est son programme vis à vis de l’éducation. Mais là encore, cela se passe sans réels remous dans la société fictive décrite par Houellebecq.
Mais le troisième niveau de lecture de Soumission est, pour moi, le plus intéressant. Il faut y voir selon moi le schéma commun à toutes les formes de progrès: seule la soumission à un dogme, à un cadre de loi, permet de régenter et d’organiser nos sociétés. Il n’y a pas de progrès sans acceptation de l’ordre sous-jacent, et ce qui fait que nos sociétés occidentales stagnent, c’est bien cette tendance répandue un peu partout à travers le monde à rejeter les ordres établis de longue date. Les démocraties ont permis à l’entropie de s’accroître, et paradoxalement, c’est la base de nos principaux malheurs, en témoigne le parcours du personnage principal, qui erre de copine de passage en périodes prolongées d’abstinence involontaire, sans y trouver la moindre source de bonheur. Tout comme l’auteur qui fut l’objet de sa thèse, Joris-Karl Huysmans, il trouvera la rédemption dans la conversion – c’est à dire la soumission à un dogme – et je rappelle à cette occasion que les rejetons du peuple juif se définissent eux-mêmes comme acceptant le joug des mitsvot…
Soumission, sous cet angle, relève bizarrement du même domaine que certains textes de Yeshayahou Leibowitz, philosophe talentueux du siècle dernier, dont il faut absolument relire certains articles, comme celui cité ici. Pour Leibowitz, la religion juive se détermine avant tout par l’acceptation – la soumission, n’est-ce pas? – au joug des commandements, qui constitue un programme de vie, indépendamment de toute forme de prière, qui n’est que formalisme. C’est assez proche, pour moi, du cadre de la réflexion que propose Houellebecq, avec l’humour et la politique fiction en moins…
J’adresse donc un grand merci à Olivier Guez, qui m’a poussé à me lancer dans la lecture de Houellebecq il y a quelques semaines, pour mon plus grand bonheur.
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