Ce récit sombre et tragique est un grand roman, et pas seulement par la taille : Fernando del Paso a les moyens de son ambition et le prouve.
Célébrer les anniversaires des disparitions de ceux qui ont marqué notre passé, c'est très bien. Shakespeare et Cervantes, ces géants, sont ainsi remis à l'honneur chaque année, et tout particulièrement en 2016, quatre cents ans après leur mort.
Transmettre, par un pris littéraire, un peu de leur flamme à des vivants, c'est encore mieux. Le Prix Cervantes, qui va à un écrivain de langue espagnole, a été attribué en 2015 au Mexicain Fernando del Paso, et le roi d'Espagne Felipe VI le lui a remis le 23 avril.
J'avais rencontré Fernando del Paso en 1990, quand est parue la traduction française de Noticias del imperio, que beaucoup considèrent comme son plus grand livre. Voici l'article que j'avais publié à cette occasion.
Consul général du Mexique à Paris, Fernando del Paso est
aussi, avec Octavio Paz, un des grands écrivains de son pays. Son premier roman
ne nous est pas parvenu en français – « trop
joycien, dit-il, intraduisible ! » –, mais le deuxième, Palinure de Mexico, avait été choisi par
la rédaction de Lire comme le
meilleur livre de l’année 1985 et le troisième, Des nouvelles de l’empire, traduit cette année, confirme un talent
qui se trouve bien dans l’ampleur. En outre, ce roman nous touche de près
puisqu’il raconte le moment où Maximilien de Habsbourg et son épouse Charlotte,
fille de Léopold Ier, furent installés sur le trône impérial
mexicain. Maximilien exécuté en 1867, Charlotte rentra en Belgique et finit ses
jours, folle, au château de Bouchout où elle mourut en 1927. Ses derniers
délires imaginés par Fernando del Paso constituent une part importante du roman
qu’ils ponctuent par un véritable chant onirique dans lequel Charlotte nie sa
folie tout en s’y enfonçant de plus en plus.
Des nouvelles de l’empire
a été, au Mexique, un succès considérable. Son auteur ne s’en réjouit pas
seulement pour lui-même : « L’histoire
qui nous était racontée au Mexique sur Maximilien et Charlotte était très
superficielle. L’empire de Maximilien a été une sorte de tabou pendant de
nombreuses années, et mon livre a été reçu comme une espèce de cataclysme. »
Ce n’est cependant pas l’aspect historique, lui aussi très
présent dans le livre, qui l’avait attiré en premier lieu.
« C’est le
mélodrame personnel de Charlotte qui me tentait. Tous les Mexicains savent que
nous avons eu un empereur autrichien qui a été fusillé et dont la femme lui a
survécu, folle, pendant soixante ans. Cela me paraissait un bon argument pour
un opéra ou une pièce de théâtre. J’ai quand même choisi le roman, mais je ne
voulais pas dépasser les trois cents, trois cent cinquante pages. Finalement, je
n’ai pas pu m’y tenir, parce que j’ai pris la décision de tout raconter. »
Ce « tout » est donc devenu un épais volume de six
cent cinquante pages dans lequel alternent les épisodes historiques et le
monologue de Charlotte, qui est une œuvre à lui seul.
« Plusieurs
lecteurs, après avoir terminé le livre, ont repris le monologue de Charlotte, surtout
des femmes. Des femmes mexicaines se sont d’ailleurs identifiées à Charlotte. »
On a le sentiment, à suivre de plus près le fil fragile de
la mémoire de Charlotte, qu’elle est peut-être celle qui dit la vérité, car
elle a depuis longtemps renversé tous les garde-fous des convenances.
« La voix de
Charlotte, ce n’est pas seulement sa voix – la voix d’une folle –, c’est aussi
la voix de la tendresse, de l’amour, de la haine, de la rancœur. C’est aussi la
voix de l’auteur et la voix de cette histoire que j’ai apprise au cours de l’écriture
du livre. »
Car Fernando del Paso a dû se documenter abondamment pour
nourrir son roman. Il a effectué des recherches pendant deux ans avant d’en
écrire la première ligne, puis il a mené l’écriture à bien en huit ans, sans
jamais cesser d’accumuler de nouveaux renseignements. Il est même venu en
Belgique pour assimiler le décor. Mais il n’a pas voulu voir le château de
Bouchout.
« Je ne le
connais pas et j’ai décidé de ne pas le connaître. Le vrai château de Bouchout,
c’est celui qu’elle a dans la tête ! »
Et sa tête, à défaut d’être bien faite, est bien pleine. Tout
ressort dans une logorrhée qui est aussi une traduction des mouvements
anarchiques de l’histoire : les plans les mieux établis par les hommes de
pouvoir peuvent se trouver balayés par la volonté d’un seul individu – Juarez –
quand il est suivi par son peuple, ou au moins une partie de celui-ci.
Ce récit sombre et tragique est un grand roman, et pas seulement par la taille : Fernando del Paso a les moyens de son ambition et le prouve.
Ce récit sombre et tragique est un grand roman, et pas seulement par la taille : Fernando del Paso a les moyens de son ambition et le prouve.