Il y a quelques jours, j’ai fui la grisaille et l’humidité parisienne pour flâner le nez au soleil dans Florence. Entre le Palazzo Vecchio et le Musée des Offices, entre la Galeria dell’ Academia et le Duomo, le syndrome de Stendhal m’a parfois guetté. Il m’a fallu trouver un refuge en terrain familier, je suis donc parti à la recherche de la plus ancienne parfumerie du monde : la Officina Profumo di Santa Maria Novella.
Parmi l’impressionnante liste des églises de Florence, celle de Santa Maria Novella est souvent ignorée: bien qu’on affirme que c’est là que naquit le style Renaissance, il lui manque le gigantisme minéral du Duomo ou le caractère poignant de Santa Croce où sont enterrés Michel-Ange et Galilée. Et même si ses fresques peuvent rivaliser avec celles de la Basilique Saint-Marc de Venise, son emplacement dans un quartier sans attrait près de la gare fait qu’elle est boudée par les touristes.
Mais l’église de Santa Maria Novella peut s’enorgueillir d’une richesse avec laquelle aucune autre église au monde ne peut rivaliser. Fondée au XIIIème siècle, l’Officina Profumo-Farmaceutica di Santa Maria Novella vend en effet des parfums qui font frissonner les amateurs du monde entier !
L’histoire de ce lieu exceptionnel débute lorsque les Dominicains, un ordre consacré à la pauvreté et la charité, s’installèrent en 1219 à Florence. Après la mort de Saint Dominique, ses disciples entreprirent de convertir une église appelée Santa Maria delle Vigne en monastère dans ce qui était en train de devenir l’une des villes les plus riches et les plus puissantes d’Europe sous le règne éclairé des Médicis.En 1381, les Dominicains installèrent une infirmerie à côté du monastère, utilisant des remèdes à base de plantes formulés par les moines eux-mêmes. Parmi les premiers distillats, on trouvait une essence prescrite comme antiseptique pour nettoyer les maisons après une épidémie de peste : l’eau de rose. On y trouvait également des mixtures dont les noms fleurent bon la sensibilité de l’époque : le Vinaigre des Sept Voleurs était recommandé pour soigner les femmes souffrant de « vapeurs », il est toujours en vente et recommandé comme stimulant. Acqua Antisterica, une concoction utilisée pour « calmer les femmes hystériques » est vendue aujourd’hui sous le nom plus consensuel d’Acqua di Santa Maria Novella et on la conseille maintenant pour ses propriétés antispasmodiques.
Au XVIème siècle, la fabrication de parfums fut un atout pour gagner la fidélité du plus célèbre client de Santa Maria Novella, Catherine de Médicis. La pharmacie créa d’ailleurs un parfum pour elle, l’Acqua Regina Della. La croissance de l’activité de l’Officina à cette époque fut cependant un sujet de discussion au sein du monastère, certains moines objectant que le doux parfum du succès pourrait détourner l’attention des dévotions chrétiennes. C’est ainsi que la production s’arrêta au début des années 1600.
Elle allait reprendre en 1612, et pour une période de deux siècles et demi. Mais en 1866, l’État italien confisqua tous les biens de l’église. Cette décision aurait pu signer la disparition pure et simple de la pharmacie si le dernier moine à agir en tant que directeur, Damiano Beni, n’avait eu une idée habile : il en donna le contrôle à son neveu, un profane, qui racheta l’Officina à l’état italien et dont les descendants sont toujours impliqués dans l’entreprise aujourd’hui.
Devenue une entreprise « séculière », la Farmacia commença à exploiter pleinement les tendances de l’époque. Dans les années 1700, elle continua à élargir sa gamme de médicaments et de parfums, et se mit même à fabriquer de l’alcool. Au 19ème siècle, une liqueur dénommée Alkermes et présentée comme un moyen de « raviver les esprits fatigués et paresseux » devint même un best-seller aux États-Unis !
Aujourd’hui, Santa Maria Novella s’est développée hors de ses frontières italiennes en ouvrant des boutiques sur les 5 continents. Pour faire face à son expansion, elle a construit une petite usine située dans les faubourgs de la ville où les techniques anciennes des moines ont été rationalisées mais où on m’a assuré qu’une grande partie de la fabrication continuait d’être faite à la main, en particulier pour les savons qui sèchent et maturent pendant un mois.
Fort heureusement, elle occupe toujours sa magnifique boutique florentine située au N°16 de la Via della Scala et on peut toujours y accéder par l’église, en poussant une imposante porte de bois qui laisse filtrer quelques effluves de fleurs et d’huiles essentielles…Quelle que soit l’entrée choisie, il suffit de faire quelques pas pour se retrouver instantanément plongé plusieurs siècles en arrière, dans un cadre qui vous coupe presque le souffle ! Impressionné par les moulures et les dorures, on admire les alambics rudimentaires utilisés par les moines, préservés dans d’antiques armoires en bois et flanqués d’anciennes bouteilles utilisées pour les lotions et potions, de listes d’ingrédients et de livres recelant les recettes originales. Le long des murs décorés de magnifiques fresques, on découvre des savons et des parfums dont beaucoup sont fabriqués selon les formules originales, vieilles de plusieurs centaines d’années.
Sur les vastes rayons et sous les plafonds somptueux, on trouve quelques 45 « Cologna » adulées par les parfumistas de la planète. J’ai aimé le Pot-Pourri Albarello, concocté à base d’un mélange secret d’herbes et de fleurs cueillies à la main dans les collines florentines puis macérées plusieurs mois dans d’immenses jarres en terre cuite selon une recette inchangée depuis 1508. Après une longue hésitation, je suis reparti avec Tabacco Toscano, un parfum de tabac blond doux et puissant aux notes de vanille fumée et d’ambre inspiré par les cigares toscans de la Manifattura di Lucca… et avec la ferme intention de revenir dans ce lieu sans pareil où la grande histoire rencontre la grande parfumerie.
Hervé Mathieu
Officina Profumo-Farmaceutica di Santa Maria Novella, Via della Scala, 16, 50123 Firenze.