« Ça va mieux ! » Pour le président François, même s’il n’est évidemment pas question de trépigner de joie, les remontées d’informations que lui fournissent ses administrations, ses ministres et ses conseillers sont claires : ça va mieux. Pour la plupart, ce constat – en violente contradiction avec la réalité palpable du terrain – démontre un déni de réalité catastrophique de la part du chef de l’Exécutif. Cependant, peut-être le président François ne met-il pas exactement ce qu’on croit derrière cette expression.
Ainsi, si, derrière son « ça va mieux », le président exprime un soulagement de constater que la situation économique du pays est maintenant meilleure, nul doute qu’il affabule ou qu’il a été intoxiqué par des informations lénifiantes de son staff ou des mets trop capiteux de ses cuisines. En revanche, s’il signifie par là que les administrations retrouvent un peu de marge de manœuvre financières, peut-être n’a-t-il pas tort.
Eh oui : peut-être ces administrations, la fiscale en premier, annoncent-elles au chef de l’État qu’après de rudes campagnes de harcèlement du contribuable, du cotisant ou du contrevenant, l’argent parvient à s’extraire de leurs poches pour renflouer les caisses d’un État exsangue ?
Hypothèse hardie, voire absurde ?
Pourtant, et je l’avais mentionné dans des précédents billets, tout indique que l’administration du pays, se comportant maintenant en véritable occupant intérieur, cherche par tous les moyens à conserver son pouvoir ainsi que ses rentes et n’hésite plus à passer le turbo dès qu’il s’agit de faire pleuvoir taxes, rappels de cotisations souvent farfelus, contredanses et autres vexations fiscales diverses et variées. Utilisant le peuple comme un réservoir inépuisable de richesses dans lequel elle pourra puiser tant qu’il ne grognera pas, elle semble s’en donner à cœur joie.
Très concrètement, on découvre par exemple que l’Inspection du Travail vient récemment de décider d’appliquer à la lettre un décret du Code Rural de 1995, portant sur la taille minimale (9 m² par occupant) des chambres pour les vendangeurs. Jusqu’à présent jamais appliqué pour les vendangeurs champenois en vertu de dérogations qui permettaient aux vendangeurs saisonniers de dormir chez l’habitant ou dans des dortoirs ad hoc, le décret sera donc minutieusement vérifié par l’Inspection du Travail qui pourra s’empresser de dresser procès-verbal avec amende à la clef (par ici la bonne monnaie) pour tout vigneron chopé en faute.
Bien évidemment, ceci se traduira directement dans le nombre de chambres disponibles pour les vendangeurs ; on estime que 8500 d’entre elles ne pourront être offertes puisque ne répondant pas au décret en question. Pour l’administration, une fois les amendes dressées et l’argent récolté, à l’évidence, « ça ira mieux ». Pour les vignerons et la cuvée champenoise de cette année, pourra-t-on en dire autant ?
Du reste, la méticulosité presque autiste avec laquelle l’administration va maintenant s’attaquer aux vignerons champenois n’est pas du tout spécifique, puisqu’on retrouve le même acharnement à faire cracher au bassinet les entreprises qu’elle s’empresse de contrôler avec une ardeur renouvelée.
Ce n’est en effet pas pour rien qu’on apprend que, sur l’année écoulée, les redressements opérés par l’Inspection du Travail pour « travail dissimulé » ont augmenté de 13% en 2015 pour atteindre le chiffre record de 460 millions d’euros. « Ça va mieux », non ? Pour une fois qu’une administration peut se targuer de son efficacité, voilà qui devrait mettre en joie… Et c’est vrai qu’il faut se réjouir de voir qu’une administration combat aussi efficacement le travail (fut-il dissimulé) dans un pays qui ne compte très clairement pas assez de chômeurs. C’est vrai qu’il faut se réjouir que des entreprises soit ainsi poursuivies, sanctionnées et finissent, souvent, par baisser définitivement le rideau au lieu d’employer directement des gens qui, s’ils n’étaient justement pas dissimulés, n’auraient aucun autre moyen pour survivre que les aides de l’État.
Quant à la fonction sociale du travail, il importe bien qu’elle soit correctement combattue, depuis les organisations syndicales jusqu’aux pointilleuses administrations en charge des vérifications de normes, de codes et de règlements toujours plus touffus. Pour le social, seul l’État sait y faire, et du reste, seul l’État en a le droit.
Le colonisateur, qui ne doit sa survie qu’au pillage permanent des richesses produites par chacun des administrés, contrevenants, contribuables et autre cotisants, redouble d’effort à mesure que, justement, le nombre d’administrés, de cotisants, de contribuables ou de cotisants s’étiole. On le comprend : pour que « ça aille mieux », il ne faut pas faiblir.
Ah, bien sûr, il y a quelques dommages collatéraux. Il y a, de temps en temps et à la faveur d’une notule journalistique un peu terne, des grumeaux de réalité piquante qui remontent au dessus de la sauce lisse du vivrensemble républicain surtaxé. Mais comment s’en étonner ? Qui peut croire que le suicide d’un patron ne soit pas, quelque part, bien mérité ? Après tout, c’était un patron, il devait plus que probablement gruger les URSSAF, l’Inspection du Travail, le fisc ou je ne sais quelle administration à l’acronyme ridicule.
L’occupant n’a, en réalité, que faire de ces petits ennuis collatéraux parfaitement passagers. Peu importe même lorsque, pourtant, c’est bel et bien les administrations, les services de l’État, qui, sans aucune microscopique ambigüité, poussent certains à l’irréparable.
« L’État m’a tué ! Notre administration m’a tué ! La DREAL m’a tué. Diriger une très petite entreprise de nos jours est devenu très difficile et infernal si l’entreprise est classée. »
Et lorsque les administrations tombent sur un individu solvable, favorablement inconnu des services de police, patron d’une petite entreprise, il n’est pas question d’y aller avec le dos de la cuillère. Un patron, c’est probablement pire qu’un violeur multirécidiviste, et on pourra sans problème convoquer « Cinquante gendarmes, trois agents DREAL, un procureur, un préfet… » Lorsqu’une administration tient un si beau poisson, un de ceux qui ne mettront pas toute une cité « sensible » en feux, un qui n’a pas toute une famille pour organiser le blocage d’une autoroute, alors l’administration cogne.
L’occupant intérieur n’a pas le temps de s’embarrasser avec ces détails. De toute façon, les dommages collatéraux sont trop disséminés et trop discrets pour poser un vrai problème. Et puis, même à un mort tous les deux jours, 3 à 4 par semaines, qui s’en inquiétera ? C’est un peu comme le pillage du patrimoine, là encore opéré par le même occupant intérieur, qui s’en souciera vraiment ?
Quand un arbre tombe dans une forêt, s’il n’y a personne pour l’écouter, fait-il vraiment du bruit ?