Ah ! Enfin les voilà ! Tout un hiver passé pour en arriver là, sur cette rivière tortueuse du Millevaches encore glaciale : les premières truites de la saison. C'était un peu comme s'il avait fallu faire de la route longtemps, se bouffer un grand bol d'air sauvage et passer la nuit avec les étoiles, observer, se les mériter ces truites, se les fantasmer encore un peu plus. Et puis elles étaient là, bien planquées, au détour d'une fin de courant, un beau lisse. Des gobages ? Même pas j'oserais dire ça ; des mouvements sous la pellicule presque imperceptibles, du délire : des truites ninjas. Alors la soie naturelle se déploie gentiment vers la première que je suppose par là-bas, collée à la berge - est-ce possible ailleurs vu qu'il n'y a que 5 m de large ? Le vent veut bien tolérer ma ligne dans ses bras un court instant. L'oreille de lièvre fait son office, aspiration, ferrage et voilà le contact est renoué, enfin.
C'en était presque orgasmique. Comme dirait Laurent Keiff, à ce moment on pourrait se dire " connexion " parce que c'est ça, d'un coup d'un seul t'es connecté avec ce monde qui n'est plus le nôtre depuis longtemps, avec une espèce qui n'est même pas mammifère ; si on regarde bien c'est du délire.
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Alors on a ris, j'avais dix ans à nouveau. Puis on s'est régalé du soleil et des nuages, entrainants dans leur ballet des couleurs de dingues dans ce ciel printanier. On m'aurait dit " ici c'est le Chili " ou même la Corrèze, je m'y serais effectivement cru, l'Espace et le Temps plus tout à fait clairs. Et le soir la guitare était accompagnée par les murmures de la Vézère, magique. On se serait cru au paradis. Ça doit avoir un gout un peu comme celui-là en tout cas.