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(anthologie permanente) Paul Klee

Par Florence Trocmé

Du 6 avril au 1er août 2016, une exposition Paul Klee (1879-1940) est à voir au Centre Pompidou, réalisée par Angela Lampe sous le titre « L’ironie à l’œuvre ». Toute sa vie, Klee a noté des mots, des phrases, des bribes de paroles qu’il est possible de considérer comme des poèmes, et que, en tant que tels, son fils Felix a rassemblés dans un recueil paru en 1960 à Zurich, aux éditions de l’Arche. Une version française de quelques-uns d’entre eux est proposée ci-dessous par Lionel Richard, dont les éditions Aden (Bruxelles) annoncent enfin l’imminente réimpression, abondamment complétée, de l’ouvrage depuis longtemps épuisé D’une apocalypse à l’autre (coll. 10/18, 1976), sur les mouvements intellectuels dans l’Allemagne des années 1910-1940.

Je suis Dieu

Je suis Dieu.
Tant de divin
s’est entassé en moi
que je ne peux mourir.
Mon crâne est en feu à éclater.
L’un des mondes
qu’il recèle
veut naître.
Mais il me faut maintenant souffrir
avant cet accomplissement.
[1901]
Ich bin Gott.//So viel des Göttlichen/ist in mir gehäuft, /dass ich
nicht sterben kann.//Mein Haupt glüht zum Springen.//Eine der Welten,/
die er birgt,/will geboren sein.//Nun aber muss ich leiden/vor dem Vollbringen.
 
Pluie la nuit

Quelque chose ment que je t’ai perdue,
je le croirais presque.
Il fait maussade et de l’humilité tout plein.
Le cœur se cabre,
l’œil brûle.
De larme aucune.
En pleurs n’est que la nuit dehors.
Isolement.
[1901]
Nachtregen
Etwas lügt, ich habe dich verloren,/fast kann ich es
glauben./Es ist trüb und voll Demut./Das Herz
bäumt sich,/das Auge brennt./Tränenlos./ Nur die Nacht
draussen weint./Einsamkeit.

En un pareil état

En un pareil état il y a
de beaux moyens.
Des prières pour obtenir foi
et force.
Le Voyage en Italie de Goethe
est aussi de la partie.
Mais surtout une étoile
de bonne fortune. Je l’ai vue souvent.
Je la découvrirai à nouveau.
[1901]
In solchem Zustand gibt/es schöne Mittel./ Gebete
um Glauben/und Kraft. /Auch Goethes Italienische/
Reise gehört hierher.//Aber vor allem ein glücklicher/
Stern. Ich sah ihn oft./Ich werd ihn wieder entdecken.

Au revoir

Au revoir, présente vie
que je mène.
Tu ne peux ainsi rester.
Distingué tu étais.
Pur esprit.
Silencieux et solitaire.
Au revoir, honneur
décerné pour le premier pas public.
[1905]

Lebe wohl gegenwärtiges Leben,/das ich führe.//Du kannst so
nicht bleiben./Vornehm warst du./Reiner Geist./Still und einsam.//
Lebe wohl Ehre/beim ersten öffentlichen Schritt.

De l’eau

De l’eau
et dessus des vagues
et dessus un bateau
et dessus une femme
et dessus un homme.
[1906]
Wasser/darauf Wellen,/darauf ein Boot,/darauf ein Weib,/
Darauf ein Mann.


Une sorte de silence

Une sorte de silence luit vers le fond.
D’un lieu incertain
quelque chose est là qui brille,
non d’ici,
non de moi,
mais de Dieu.
De Dieu !
Même si un simple écho,
un simple miroir de Dieu,
et proximité de Dieu pourtant.
Goutte du tréfonds,
par elle-même lumière.
Qui donc dormait et ne connut souffle qui s’arrêtât :
celui qui...
La fin remontant au début chez elle rentra.
[1914]

Eine Art von Stille leuchtet zum Grund./Von Ungefähr/scheint da ein Etwas,/
nicht von hier,/nicht von mir,/sondern Gottes.//Gottes !/Wenn auch nur Widerhall,/
nur Gottes Spiegel,/so doch Gottes Nähe.//Tropfen von Tief,/Licht an sich./ Wer
je schlief und der Atem stand :/der…/Das Ende heim zum Anfang fand.

Mon étoile

Mon étoile s’est levée
des profondeurs sous mes pieds.
Où niche en hiver mon renard ?
Où dort mon serpent ?
[1915]
Mein Stern ging auf/tief unter meinen Füssen//
wo haust im Winter mein Fuchs/ wo schläft
meine Schlange ?

Au tout milieu du cœur

Au tout milieu du cœur
unique ardeur
l’écho des pas d’un marcheur
[1920]
In Herzens Mitte/als einzige Bitte/
verhallende Schritte

Du chat

Du chat un échantillon :
cuillerée de sons cueille son oreille
ses pattes prennent leur envol
ses yeux
brûlent gros et vaporeux
revenir nulle intention
beauté de la fleur
les armes cependant prêtes à tout
et au fond il n’a rien à tirer de nous
[1920]
Von der Katze ein Stück :/ihr Ohr löffelt Schall/
ihr Fuss nimmt Lauf/ ihr Blick/brennt dünn
und dick/vor ihrem Antlitz kein Zurück/schön
wie die Blume/doch voller Waffen/und hat im
Grunde nichts mit uns zu schaffen

Paul Klee, choix et traduction de Lionel Richard.


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