Certes, et l’ironie n’y change rien, la mort obsède Alexandre Bonnier, ou, mieux, c’est ce détachement qui permet le relevé du cadastre, le parcours pas à pas des progrès d’une métamorphose dont l’achèvement, pour toujours, échappera à sa conscience, mais que l’on saisit ici à travers une certaine drôlerie sérieuse qui voisine avec Michaux, en infimes parcelles, en menus incidents, par intuition.
Car l’inventaire des avancées de la mort n’est en rien systématique, il obéit au désordre apparent et fantasmatique du jour le jour, il s’établit dans le bric-à-brac des inquiétudes que l’on a cru oubliées, il suit la logique d’une angoisse sans cesse en action, sans cesse raillée et repoussée. Ce désordre, cette logique tramant le texte d’un humour que l’on dirait noir, si cette absence de couleur ne trahissait l’essentiel de cet humour, sont la tactique de repli et de contre-attaque de l’individu menacé – le style même de la “mort quotidienne”.
Nul abîme ne guette le mort Alexandre Bonnier, simplement – en même temps que “le dénudement, la dénudation ou le dénudage, que sais-je”, qui sont la mise à nu sans emphase qu’agence quotidiennement la mort, l’impudeur à laquelle répond le dérisoire révélé –, simplement “entre le ventre et l’âme” l’inconscience sertie dans le corps accroît son emprise, s’appesantit, se pétrifie : “Je mourrai sur cette place de Barcelone qui m’attend... Les pigeons se poseront sur ma tête ou sur mes épaulettes de général d’Empire.” Il ne reste plus alors que cette dernière ironie, un peu lasse, cette réincarnation paradoxale qui clôt ce vademecum de la mort d’une fausse sortie, et d’un réel refus du retour à la poussière : “Dormir afin de se rhabiller de la peau lourde du rhinocéros, ou enfiler la pierre et la peau des statues dans le prélassement éternel.”
Robert Amutio
Alexandre Bonnier, La Mort quotidienne, les éditions chemin de ronde, 84 pages, 8 €.