Une tribune de Serge Federbusch pour le Figaro
Le dieu Sondage a parlé : Emmanuel Macron est le seul à «gauche» à pouvoir qualifier son camp au deuxième tour de la présidentielle. Les socialistes désespérés, députés à la dérive et autres conseillers de cabinet ministériels aux abois, tiendraient-il leur sauveur ? Face à Le Pen et peut-être même à Sarkozy tout pourrait alors continuer comme avant. Confronté à Juppé, l’issue du duel serait plus incertaine mais, comme il n’y a entre eux qu’une différence d’ancienneté à l’Inspection des finances, ce ne serait pas grave. L’oligarchie serait miraculeusement épargnée.
Il faut dire qu’il a le profil avantageux, Emmanuel. Sorte d’hybride de Giscard, de JJSS (les jeunes générations chercheront avec Google ce que ce sigle signifie), de Lecanuet et autres ébauches de Kennedy à la française ; moderne, centriste, réformateur, audacieux, ni de gôôôche, ni de droâââte : le parfait équilibre. Un produit merveilleusement calibré par Attali et les hebdomadaires sur papier glacé pour administrer avec le sourire les potions amères que les Français recrachent avec une belle régularité depuis des années.
En matière de storytelling, on ne peut rêver mieux. La dramaturgie électorale a besoin de surprise, d’inattendu, qu’on renverse la table. Ici, ce renversement serait tout ce qu’il y a plus symbolique. Il faut que tout change avec Macron pour que rien ne change.
Hélas ! Cette jolie figurine est promise à un jaunissement accéléré.
Tout d’abord, le dieu Sondage est enigmatique. A y regarder de près, les scores de Macron ne seraient élevés que s’il n’était pas confronté à un autre candidat adoubé par le PS, issu d’une primaire ou auto-proclamé lui aussi. Amenez Hollande, Montebourg, Hamon ou Liennemann dans la danse et vous ne trouverez plus qu’une gauche émiettée, pulvérisée façon puzzle, renvoyée à son score de 1969 quand Pompidou fit la course tout seul. Macron ne serait alors que l’étincelle qui aura provoqué l’explosion du socialisme bureaucratique de gouvernement.
Ensuite, Macron devra, s’il se lance dans l’aventure, dire à un moment ou à un autre ce qu’il a en tête, en matière de politique économique et sociale notamment. Et c’est là que les Macroniens se macroniseront. Car cet Emmanuel fougueux et iconoclaste est en réalité respectueux de tout ce qui plombe la France. Entend-il renégocier le fonctionnement désastreux de l’Union monétaire maastrichienne ? Non. Il ferait comme tous les préposés de Bruxelles et Francfort : il adhèrerait à une politique de change qui nous handicape en échange d’un endettement monétisé par Mario Draghi. Le couple infernal qui nous ruine, la désindustrialisation et la dette, continueraient de prospérer joyeusement.
Engoncé dans ce corset monétaire, il lui faudrait être particulièrement féroce en matière d’ajustement structurel, c’est à dire de compression des coûts salariaux et des dépenses publiques, ce qu’il évite naturellement de trop évoquer pour n’inquiéter personne. Il ne s’agit pas pour moi, libéral, de nier la nécessité urgente de s’attaquer au mastodonte étatique, bien au contraire. Mais le faire avec le boulet européen qui nous entrave depuis des décennies conduirait vite Macron, à défaut de résultats, à une crise sociale de première ampleur, ce que tous les pouvoirs depuis quarante ans ont pris la précaution d’éviter.
Du reste, comme il lui serait difficile de gagner les législatives dans la foulée avec une majorité présidentielle bricolée à sa dévotion, il aurait à affronter concomitamment une paralysie institutionnelle. Son équation politique est donc singulièrement compliquée.
Car il ne faut pas oublier qu’hormis quelques articles bienveillants dans la presse people, des patrons attendris et une proximité mollement niée avec l’institut Montaigne, Macron n’a ni parti, ni troupes. Les aventures individuelles n’ont jamais fonctionné en France depuis Napoléon III, celle de de Gaulle en 1940 étant partagée par d’autres résistants et portée par des circonstances tragiques. On ne fait pas d’un haut fonctionnaire bien pensant un chef rebelle grâce à Paris Match.
Enfin, sur les autres sujets qui fâchent les Français et empoisonnent le débat public, en particulier celui de l’islam et de la laïcité, Macron se dissimule derrière des formules incantatoires sur les ghettos et la responsabilité de l’homme blanc, ignorant comme beaucoup la triste réalité d’un fondamentalisme religieux qui est loin de ne se nourrir que de misère. Certains des pays musulmans qui se sont le plus développés économiquement depuis cinquante ans comme l’Iran, la Turquie ou l’Arabie, par des moyens du reste variables, ont connu la pire réaction islamiste. Cela ne cadre aucunement avec le schéma conformiste que Macron reprend pour éviter de trop y réfléchir.
Bref, la surprise Macron est un produit politique en voie de péremption avant même sa sortie d’emballage.
Reste une dernière hypothèse, un ultime rêve terranoviste : un ticket Juppé/Macron. Ce serait l’apothéose du transpartisan, un homme politique nouveau comme les transhumanistes nous annoncent un humain renouvelé par la science. Ce scénario censément libéral/libertaire n’est guère plus convaincant que le précédent, précisément parce les deux candidats entendent occuper le même terrain. Si Macron renonçait pour se rallier à Juppé, nul doute que ce dernier le remercierait d’une poignée de main, d’un sourire puis d’un coup de pied bien placé sitôt l’élection terminée. L’un n’a rien à apporter à l’autre.
L’effet Macron fera probablement long feu. C’est dommage, non pour ce qu’il est mais parce qu’il s’agira à nouveau d’une démonstration que, dans la Cinquième république finissante, aucune force neuve ne peut surgir en respectant les règles institutionnelles. L’hyper présidentialisation du régime, loin de permettre les réformes, joue désormais au bénéfice du conservatisme.
Emmanuel Macron ne sera rien d’autre qu’une énième illusion qui se fracassera sur cette triste réalité.