« je descends l'histoire où tu vas » (BC)¹ : à propos de Bas de casse et Noise de Stéphane Korvin
Une émotion fragile et aiguë traverse les vers de Stéphane Korvin. Ainsi, dans Bas de casse: « aux plus belles heures je t'écris / tu retentis en moi // tel paysage endolori / roule sous mes ongles » (BC). Par le paysage, la sensation de beauté s'étend à la douleur ; le son éclatant, en soi, de celle qui « refus[e] de répondre » intensifie la sensation de perte. Cette poésie est une écriture destinée à l'autre, sans illusion, et une description de l'autre, au cœur de la solitude : « si je pouvais t'écrire : telle solitude » (p.57, N).
L'adresse incertaine résonne encore dans Noise : « en pente douce je m'entends-tu ? » (p.40, N). L'étrange question laisse en suspens la destination de la parole : à la fois toi et moi. La solitude s'entend, en plein paysage, dans un mouvement de calme et d'inéluctable en-aller.
Les deux recueils racontent ainsi l'histoire de la distance entre je et tu. Celle-ci peut être immense et situer le corps de l'un « à une forêt du corps de l'autre » (BC). Et pourtant, parfois, cette distance s'atténue et permet de donner « les nouvelles du près / l'assaut de ton corps » (BC). La proximité, les vues courtes et sensuelles sur les détails de ce corps féminin prennent forme dans un rapport tendre et parfois violent : « j'étais allongé avec toi, veillant sur ta parole, tenant tes yeux dans mes doigts, effilant ta nuque à revers / je pensais à : 'grièvement s'aimer' » (BC).
Tu, origine de la parole : « tu étais un alphabet, le bâti du silence » (p.17, N). Ou encore, dans Bas de casse : « mais ta langue / répétant l'amorce » (BC). L'écriture poétique continuerait le chant de celle qui « chant[e] merveilleusement / l'empreinte des peu » (BC) et inventerait la possibilité d'un dialogue avec elle (« tes questions / je les peins du bout des lèvres // puis en secret je les couds dans tes poches / pour que tu puisses les faire advenir / avec tes courses et tes chutes », BC).
Ce lien est fragile. À l'image du monde, tu est « un subtil lointain » (BC). Aussi, dans Bas de casse, « l'image » devient « endommagée » « tant la distance couvre ». Le pronom elle, dans les deux recueils, prend d'ailleurs un temps la place de tu, comme une « statuette » qui lui ressemble, celle de la femme. Mais cette « statuette » « ne réplique pas » (p.55, N), tout comme la femme qui incarne le pronom tu. De cette absence de réponse et de représentation apaisante, les mots s'adressent, dans Noise, au son indistinct de la voix : « cher marmonnement » (p.67, N). À suivre ce corps, le poème devient « biographie d'un isolement » (p.59, N).
Quel sens donner à cette relation ? Je - le poète « investi[t] certains passages », les « chutes » d'une histoire dont on sait peu. Il concentre sur la « peau » de l'autre des « souvenirs » et des « inventions », des « deuils » et des « contes » (p.83, N). Ce tu serait l'image d'un désir endeuillé, un conditionnel (« tu disparaîtrais », p.83, N) qui dure le temps de l'adresse dans son énergie fragile. Un parcours, à distance ou à proximité de l'autre, a lieu, mais on perd sa trace : « nous parcourons un chemin / où raciner n'a pas prise » (BC).
Antoine Bertot
¹ Les lettres BC désignent le recueil Bas de casse ; la lettre N, le recueil Noise.
Stéphane Korvin, Bas de casse, dessins de Caroline Sagot-Duvauroux, Æncrages & co, non paginé, 2015, 18€
Stéphane Korvin, Noise, Editions Isabelle Sauvage, 2015, 82p, 15€.