Autrefois, on qualifiait la peinture de cet artiste inclassable de « naïve », et l'homme de "primitif moderne".
Loin des peintres académiques – il avait cependant une grande admiration pour William Bouguereau – ce peintre totalement autodidacte s’inspirait aussi des grands maîtres de la Renaissance et des classiques su'il allait copier au Louvre. Mais c’est surtout l’influence qu’il exerça lui-même sur des hommes de son temps et très en avance sur le leur, et parmi les plus célèbres, qui est mise en lumière à travers cette rétrospective.
Car celui qui fut pendant un certain temps employé d’octroi – d’où son surnom – avait pour amis et ou admirateurs : Apollinaire, Alfred Jarry, Fernand Léger, André Salmon, Max Ernst, Félix Vallotton, henri Matisse, Robert Delaunay, Picasso, Otto Dix, Diego Rivera, Wassily Kandinsky… André Derain dira de sa peinture : « C’est bien simple, accrochez un Rousseau entre deux tableaux anciens et modernes : le Rousseau donnera toujours une impression plus forte. »
Autant de références dans le monde de l’art moderne ne laisse pas indifférent. Henri Rousseau (1844 - 1910) se mit à peindre vers ses 40 ans, en créant des modèles inédits : les « portraits-paysages » comme son autoportrait avec en arrière-plan le pont du Carrousel, ou ce portrait de Monsieur X, dont le modèle est Pierre Loti, à la manière de l’homme au bonnet rouge de Carpaccio … des allégories mettant en scène ses amis comme « la muse inspirant le poète » qui représente Guillaume Apollinaire et sa compagne, les grands portraits de femmes hiératiques, les images d’enfants figés, si tristes, aux jouets démesurés … et, prémonition de la Grande Guerre et de la grande œuvre de Picasso, le cavalier de « La Guerre » ou « La chevauchée de la discorde », avec son sabre haut brandi et ses mâchoires carnassières effrayantes, chevauchant au-dessus d’un océan de cadavres blafards.
Mais ce qui fascine surtout, c’est la série d’évocations en grands formats du paradis terrestre et de la jungle : luxuriance des couleurs, détails de végétaux imaginaires, mouvements des animaux féroces et de leurs proies alors qu’Henri Rousseau n’a jamais connu que les pensionnaires du Jardin des Plantes, poésie et humour de ces singes qui jouent avec une bouteille de lait … On redevient enfant à la contemplation de ces peintures si minutieuses, mystérieuses (La charmeuse de serpents), merveilleusement colorées … On entend presque les bruits des froissements d’ailes des oiseaux cachés dans les feuillages ou le frôlement des serpents qui vous glissent entre les pieds.
Je suis tombée une nouvelle fois sous le charme indéfinissable de cette vision du monde. J’espère qu’il en a été de même pour Camille qui a eu la gentillesse de m’accompagner dans cette magnifique exposition.
Le douanier Rousseau ou l’innocence archaïque, exposition au Musée d’Orsay jusqu’au 17 juillet. Tous les jours sauf le lundi .