Un arbre chante est le tout dernier recueil de poèmes, en vers et en prose libres, de Vahé Godel.
Pour qu'on ne se méprenne pas sur ce qu'il entend par poème, il précise:
un poème est tout ensemble un corps étranger, un nid de résistance, un lieu de perdition...
non sans avoir prévenu: nul poème qui ne coure à sa perte.
Le recueil comprend trois parties:
- Un arbre chante
- La voix le silence les yeux
- L'errance la dérive la trace
qui ne sont pas expression et mots à dresser des barrières entre elles.
Peut-être est-il d'ailleurs possible de comprendre ce qui relie ces parties en prêtant attention à ce que dit le poète de son humaine condition dans la troisième:
je ne cesse d'osciller entre la peur du Vide et l'appel du Rien... mais d'autre part je vise le Plein, j'embrasse le Tout...
Dans Un arbre chante ne dit-il pas:
je m'en irai comme je suis venu
à l'aveuglette
à bout de souffle
- sans savoir
pourquoi...
et dans La voix le silence les yeux:
- Nom?
- Non.
- J'ai le devoir de vous inscrire.
- Inscrivez: Innommable.
- Né en...?
- Néant.
Il est question d'errance dans la troisième partie:
L'errance est le fruit d'une perte: Eurydice perdue, le destin d'Orphée n'est plus qu'une errance éperdue, une dérive sans fin, dont la seule trace est l'écho de ce cri, de ce chant qui ne cesse de jaillir de la bouche orpheline d'une tête sans corps...
Ce passage de la première partie lui fait écho:
une parole errante
cherche refuge
dans les bras d'un vieil arbre
invisible
Il est question de silence dans la deuxième partie:
Me demeurent les mots, dans l'enclos du silence.
ou:
Ce qu'on nomme silence reçoit d'emblée un sucroît d'existence.
Mais aussi dans la première:
(rien ne se perd
le silence fait tache d'huile
- je tourne en rond
dans la maison des mots)
(remarque en passant: les passages placés entre parenthèses, fréquents, ne sont pas les moins importants...)
Ces thèmes repris d'une partie l'autre donnent accès à la terre étrangère du poète. Ils manifestent sa volonté de survie. Ils mènent à ses lieux où se perdre. Ils confirment qu'il dit vrai quand il dit aimer les espaces intermédiaires, hybrides, ambigus...
Parce que révélatrice de sa conception de son art, une dernière citation du poète permettra au lecteur de se faire une idée plus précise encore de ce qu'il trouvera dans ce recueil de poèmes, dont les morceaux choisis ci-dessus ne peuvent que donner un avant-goût:
Ecrire, c'est tout ensemble cultiver son désir, prolonger son errance et se nourrir de sa perte - autrement dit, tromper sa faim.
Francis Richard
Un arbre chante, Vahé Godel, 76 pages, L'Aire