La religieuse - 7,5/10

Par Aelezig

Un film de Guillaume Nicloux (2013 - France, Allemagne, Belgique) avec Pauline Etienne, Louise Bourgoin, Isabelle Huppert, Gilles Cohen, Pierre Nisse, François Négret, Agathe Bonitzer

Edifiant.

L'histoire : XVIIIe. Suzanne est la dernière fille d'une famille bourgeoise mais pas très argentée. Il faut déjà constituer les dots pour le mariage des deux aînées, et la troisième sera donc... religieuse ; ça coûte moins cher. Hop, au couvent. L'adolescente n'est pas hostile, au contraire, elle est très pieuse. Mais elle vit cette première période comme un essai... et découvre rapidement que cela ne lui convient pas. Elle a envie d'avoir un mari, des enfants, de voir du monde. C'est donc avec effroi qu'au bout d'un an, alors que ses parents sont censés venir la récupérer, elle apprend qu'ils ont décidé qu'elle serait nonne, un point c'est tout. La jeune fille refuse de prononcer ses voeux... Scandale. Sa famille vient lui faire la morale, elle ne voit plus aucune issue, elle devient novice... Mais est en perpétuelle rébellion...

Mon avis : Je n'ai jamais lu le roman de Diderot, auteur du Siècle des Lumières (dont nous aurions bien besoin de nouveau...). Rien que pour ça, je dis merci à Guillaume Nicloux, qui remet au goût du jour un écrivain phare du patrimoine français... tout en nous montrant la modernité de son propos. Profondément anticlérical, le livre bien sûr fit scandale, et aujourd'hui encore, je pense que ça choque dans les milieux catholiques fervents. Par les temps qui courent, qu'il est bon pourtant de dénoncer toutes les imbécilités que l'on commet au nom de la religion.

Bravo aussi pour le courage de réaliser des films comme ça qui, évidemment, n'attireront pas les masses... celles-ci se complaisant dans la production industrielle d'Hollywood, bastonnade, violence, high tech. Comment faire pour que les foules parviennent à s'intéresser à autre chose que de la testostérone à deux balles, ou de la comédie pipi-caca-prout ? Ca commence à vraiment me désespérer... Car des films comme ça, il y en a de moins en moins. Loi de l'offre et de la demande. Qu'avons-nous fait, qu'avons-nous raté pour que la "culture", la philo, la réflexion, le sens critique, disparaissent autant de nos vies ?

Bref. L'histoire de Suzanne est incroyable. La ténacité, la détermination de cette petite bonne femme, et ses réactions face à des situations totalement inattendues pour elle, forcent l'admiration. Et, si l'on se souvient que l'action se passe au XVIIIe siècle, quelle merveille que ces femmes qui défiaient l'autorité ! Je savais bien que les couvents n'étaient pas forcément des repaires de personnes très dévotes et très mystiques (vu qu'on y enfermait beaucoup de jeunes filles qui n'avaient pas forcément la foi...) mais entre la mère supplice (étonnante Louise Bourgoin !), sadique jusqu'à la perversion (soit tout le contraire du message divin...) et l'autre qui ne pense qu'à se taper des petites novices... waouh ! Quel univers ! 

Un excellent film, qui malgré son sujet et sa quasi unité de lieu, possède un rythme parfait, réserve des surprises, multiplie les très belles images (glaciales... pour mieux illustrer le propos), tout en restant au plus près d'une réalité sordide, et réunit un casting parfait, avec trois actrices épatantes (oui, oui, même la Bourgoin !). 

La religieuse me réconcilie avec l'idée que je me fais du cinéma... une idée qui pourtant se perd, se noie, disparaît, à tel point que j'ai parfois envie de tout arrêter tant 90 % de la production m'ennuie désormais...

A noter que feu Jacques Rivette avait réalisé une adaptation de 1967. Que j'aimerais bien voir pour le coup. Pourtant je ne suis pas trop fan de Rivette...

Les critiques professionnelles sont quasi unanimes pour saluer l'oeuvre du réalisateur. Le public est un peu plus perplexe, on s'en doute... et le film n'a attiré que 105.000 personnes en salle.