Magazine

Efix-Levaray : Putain d'usine

Publié le 20 avril 2016 par Despasperdus
" Tous les jours pareils. J'arrive au boulot. Et ça me tombe dessus comme une vague de désespoir. Comme un suicide. Comme une petite mort. Comme la brûlure de la balle sur la tempe. "
Efix-Levaray : Putain d'usine

Histoire de changer, Putain d'usine est une bd entièrement en noir et blanc. Faites de vignettes de taille moyenne et parfois d'une page où le dessin et la photo d'Efix et le texte de Jean-Pierre Levaray se côtoient à merveille. Plus qu'une adaptation du roman de ce dernier, la postface, très intéressante où les deux amis racontent le processus d'élaboration, précise qu'ils ont fait cette bd en équipe.

" Non, je parle de ces moments qui tombent comme ça dans les ateliers. Sans crier gare. Ou presque. Dire non, c'est jubilatoire. Comme un môme ! C'est une façon de retrouver un peu de soi-même. Un peu de la fierté perdue en acceptant le salariat. Comme si pour quelques jours on prenait nos vies vraiment en main. Dire non et dire pourquoi."

Putain d'usine, c'est la vie d'un ouvrier comme des milliers d'autres. Un choix ou plutôt un non choix parce qu'il faut un minimum de thunes pour vivre décemment. 27 ans de boite. Subir les cadences, les horaires en 3 X 8, le travail le dimanche, la hiérarchie, les conditions de travail qui emportent les camarades de galère bien avant la retraite à cause de conditions sanitaires et de sécurité déplorables, des dépressions, des drogues légales comme l'alcool... C'est aussi, sous-jacente, la conscience de classe face à la direction qui oblige à la révolte, à la mobilisation, à la grève, non pas pour la révolution, mais d'abord pour soi, pour sa propre dignité face au mépris social et à l'exploitation.

Efix-Levaray : Putain d'usine
" Tu travailles là, toi ? (...) J'ai été muté ici il y a 4 ans. C'est pas un cadeau, je te jure ! T'as vu l'état ? On attend la fin... C'est le stress total. Obligé de prendre des trucs pour tenir. (...) On envoie balader les chefs. On vient travailler en traînant les pieds. Qu'on ne me parle plus d'amour du travail ! C'est bon pour les artisans ! Il y a bien longtemps que les ouvriers ne pensent plus comme ça. "

Putain d'usine est une suite cohérente de courts chapitres comme autant de tranches de vies ouvrières. Christian viré parce qu'il ne maîtrise plus son alcoolisme qui tente de détruire la maison du directeur, le travail de nuit ou le dimanche, le café à l'embauche, la douche, l'apéro, le comité central d'entreprise où les dirigeants ne lâchent aucune information sur tel ou tel site, Jean-claude, mort d'un cancer radical après une dépression après avoir perdu tout espoir de devenir ingénieur à cause de la direction, Karim l'intérimaire qui balaie des poussières toxiques, le pote qui démissionne après 27 ans de boite, la grève surprise et la grève générale... L'usine comme une prison dont il est difficile de s'échapper vivant, jeune et en bonne santé, mais plutôt usé, malade ou les deux pieds devant...

" Trop de copains sont morts sans attendre la retraite. C'est dans les statistiques : les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres. Le stress, les horaires, les produits manipulés... Avant, on s'arrangeait avec la sécu pour prendre un peu de repos. Le repos est devenu éternel. "
Efix-Levaray : Putain d'usine

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Despasperdus 4931 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte