Quatrième de couverture :
«Entre la beauté que vous, Pierre Bonnard, m’avez jetée dans les bras, sans le savoir, et celle que vous avez aimée au long de quarante-neuf années, il y a un monde, ou ce n’est pas de la peinture.
Il y a un monde et c’est l’aventure du regard, avec ses ombres, ses lumières, ses accidents et ses bonheurs. Un monde en apparence ouvert et pourtant fermé comme une vie d’homme. Les clés pour y pénétrer ne sont pas dans les livres, pas dans la nature, mais très loin derrière nos yeux, dans ce jardin où l’enfance s’est un jour assise, le cœur battant, pour attendre la mer.
C’est là qu’il faut aller.
C’est là que Marthe m’a rejoint dans le musée à colonnade et m’a sauvé de la solitude et de l’ennui où je mourais.»
Devant ma difficulté à décider du titre de Guy Goffette que je lirais pour ce rendez-vous, une main innocente a guidé mon choix et a donc tiré ce récit ou cette biographie romancée de Pierre Bonnard. Et je la remercie car je ne connaissais le peintre que de nom !
J’ai d’abord bien aimé cette rencontre entre l’auteur et le peintre, un jour de canicule où Guy Goffette est entré dans un musée, entre deux trains, et a été inondé de fraîcheur par le tableau (en couverture de l’édition Folio) L’eau de Cologne ou Nu à contre-jour. C’est le modèle féminin qui a emporté l’adhésion de l’écrivain et lui fait adopter cet angle de vue pour raconter la vie et l’oeuvre de Pierre Bonnard : celle qui se faisait appeler Marthe et qui ne le quittera plus, une fois qu’ils se seront rencontrés sur un boulevard parisien. Personnage énigmatique, de santé fragile (mais elle aura finalement vécu assez longtemps), elle avait certainement une grande emprise sur lui et n’est peut-être pas aussi accommodante que le décrit Guy Goffette (si j’en crois ma collègue prof d’Histoire de l’art, elle phagocytait carrément Bonnard).
Bonnard a connu les impressionnistes, Toulouse-Lautrec, les Nabis, et bien d’autres encore, mais il a continué à peindre dans l’esprit impressionniste jusqu’à sa mort. La couleur, la lumière avant tout étaient les deux valeurs qui guidaient son credo pictural. Et Marthe, bien sûr, représentée, peinte, dessinée des dizaines et des dizaines de fois. Ce qui est étonnant quand on le compare avec d’autres, c’est qu’il a vécu assez vite de sa peinture, et pas mal (quoique la notoriété dont il jouissait soit bien moins large que ce qu’il méritait sans doute, étant donné que ce n’était pas un artiste « à la mode »). Il n’a jamais cessé d’observer, de croquer sur le vif et de peindre dans son atelier à partir de ses croquis. Etonnant aussi, intéressant que ce soit grâce à lui (ou à cause de lui) que les lois sur la propriété intellectuelle des artistes aient été mises en place : Bonnard s’étant marié tardivement avec Marthe sans contrat de mariage, les héritiers de cette dernière ont cru pouvoir manger le bien du peintre, ce qui donna lieu à une longue bataille juridique.
Dès que Guy Goffette raconte ces épisodes, il adopte une écriture plus neutre, alors qu’il a raconté d’une plume poétique l’évolution artistique de Bonnard et son lien indéfectible à sa muse. Ce que je retiendrai de cette lecture, c’est, comme son titre l’indique, l’impression de bonheur, le regard chaleureux que Pierre Bonnard a posé sur la vie et les êtres qui l’entouraient. Les mots de l’écrivain ont accompagné les silences du peintre et un peu de leur lumière est venue me caresser la joue pendant que je lisais.
« Peuplé de voix et de couleurs, le jardin d’enfance persiste en nous, royal malgré la chute et l’exil du roi ; il rafraîchit les déserts traversés de l’âge, rattrape l’aveugle dans la musique, le sourd dans la contemplation. » (p. 66)
« Mais nous sommes pauvres et petits. Derrière le trou de nos pupilles, il y a quelqu’un toujours qui dit je et que nous ne connaissons pas. Quelqu’un qui regarde et qui chante, mais nous ne voulons pas l’entendre. Aussi les poètes continuent-ils de crier dans le désert et les peintres de parler pour les sourds qui les entendent comme personne dans leur langue, tandis que nous nous obstinons à interroger avec l’intelligence au lieu d’écouter avec tous nos sens et de recevoir avec le cœur qui adhère et se tait.
Et Pierre dans l’atelier longuement regarde ce mur où, côte à côte, les nus conversent avec les paysages, les portraits avec les natures mortes. Longtemps regarde et longtemps écoute comment la lumière parle aux couleurs et ce qu’elle dit à ce vert qui voudrait être bleu quand le rouge tout contre invite à prier plus bas. Puis en silence, le cœur plein de toutes ces choses bruissantes, Pierre s’en va mélanger les couleurs dans l’assiette de porcelaine. »
Guy GOFFETTE, Elle, par bonheur, et toujours nue, Folio, 2002 (1e édition en 1998)
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