Le blog que tient Ifemelu aux Etats-Unis devient une
référence, si l’on en juge par des réactions qui viennent du monde
entier : Raceteenth ou Observations
diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par
une Noire non américaine est une étude sociologique sauvage des
comportements qu’elle observe souvent avec étonnement, toujours en essayant de
comprendre. Ifemelu vient du Nigeria et se prépare d’ailleurs à y retourner.
Elle a rompu avec Curt, rebaptisé « l’Ex Blanc Sexy » dans son blog,
cousin de Kimberly chez qui Ifemelu était baby-sitter. Mais elle n’a pas rompu
encore le silence qu’elle a gardé pendant quinze ans, ne répondant jamais aux
messages d’Obinze qui tentait de prolonger leur amour de jeunesse né à Lagos.
Sa vie américaine, qui a fait d’elle une Americanah, lui a ouvert les yeux. Elle
a constaté, en arrivant aux Etats-Unis, une réalité à laquelle elle n’avait
jamais pensé alors qu’elle était une partie fondamentale de son identité :
« Moi-même je ne me sentais pas
noire, je ne suis devenue noire qu’en arrivant en Amérique. » Elle a
quitté un pays corrompu pour trouver une société où sa place n’était pas clairement
définie. Mais plutôt quelque part au bas de l’échelle, du côté des Américains
hispaniques : « Hispanique
signifie être fréquemment associé aux Noirs américains dans les statistiques de
la pauvreté, hispanique signifie être légèrement au-dessus des Noirs américains
dans l’échelle des races américaines. »
On note au passage que le mot « race » apparaît
fréquemment dans Americanah. La
traductrice, Anne Damour, a eu raison de le conserver en français malgré le
mouvement qui s’oppose à son utilisation pour désigner des catégories de
population. Il nous rappelle ici que le melting-pot américain n’est pas
indifférent aux couleurs de peau et utilise, pour les différencier, ce
mot : « race ».
Chimamanda Ngozi Adichie, qui a quitté le Nigeria pour les
Etats-Unis quand elle avait dix-neuf ans et qui vit maintenant entre les deux
pays, a dû rencontrer quelques-unes des situations dans lesquelles elle place
son héroïne. Peut-être même ressentir la même chose qu’Ifemelu quand elle
revient en Afrique : « La race ne
compte pas tellement ici. En descendant de l’avion à Lagos j’ai eu l’impression
d’avoir cessé d’être noire. » Et avoir l’occasion, ensuite, de
découvrir que ce n’était pas si simple…
Ifemelu n’a pas sa langue en poche, ce qui lui vaut quelques
déboires. Et qui nous vaut de magnifiques emportements par lesquels elle
bouscule le confort où se sont installés celles et ceux qui refusent de
regarder en face les questions qui fâchent, évitant surtout du même coup
d’avoir à y répondre.
Americanah s’interroge sur une identité que modifie le regard des autres. Mais qui
ne change pas pour autant et ne refuse pas la perspective du bonheur.