Bayerisches Staatsorchester et Kirill Petrenko entre Peter Seifert et Christian Gerhaher à la fin du Lied von der Erde en mars dernier ©Wilfried Hösl
Dans les supermarchés, les étals de rentrée sont déjà prêts en juillet, les galettes des rois (6 janvier) en vente le 10 décembre, les jouets de Noël début novembre. Il en va de même des saisons des opéras, jadis affichées en mai-juin, aujourd’hui en février ; comme une course à l’échalote c’est à qui se précipitera le premier. Et l’effet des réseaux sociaux affiche les émerveillements répétés, à faire croire qu’on ne saura plus où donner de la tête tant les spectacles et les productions sont excitantes et prometteuses ; bref le monde de l’opéra, de New York à Londres, de Munich à Madrid, de Vienne à Paris, de Milan à Francfort et de Lyon à Zurich, ne serait qu’un coffre aux merveilles, qu’un tonneau des Danaïdes d’où l’on sort sans cesse des soirées qui seront à n’en pas douter exceptionnelles et inoubliables. Le parcours du mélomane, ou dans mon cas du mélomaniaque, est cependant rempli de soirées inoubliables bien vite oubliées, où une exception chasse l’autre. Le maigre bilan annuel des soirées de l’île déserte en est souvent l’indice.
Alors je me suis demandé si j’allais rendre compte systématiquement des saisons, qui presque toutes paraissent entre mi février et fin mars. Seule la Scala, imperturbable, continue d’afficher plus tardivement sa saison, une habitude enracinée dans le temps, qui résulte des organisations italiennes, moins anticipatrices qu’ailleurs : combien de grands chanteurs la Scala a loupé par le passé à cause de ses programmes construits bien après les autres théâtres (un seul exemple, Hildegard Behrens, systématiquement invitée quand l’agenda de la chanteuse était complet). Mais aujourd’hui, afficher sa saison après les autres, c’est aussi créer de l’attente, et éviter d’être mélangé avec le tout venant, la Scala arrive en dernier, comme la Reine des Fées…
En sacrifiant à l’exercice, je suis bien conscient de son côté « miroir aux alouettes » où l’investissement du rêve ne rencontre pas toujours la réalité, mais quand au contraire le rêve la rencontre, ce qui arrive quelquefois, alors...c'est le Nirvana
L'annonce des saisons est aussi une manière de lire une politique artistique (ou une absence de) d’afficher des orientations des théâtres, sentir les inflexions, qui se lisent par l’affichage de raretés ou non, par l'appel à des metteurs en scène neufs, par l'arrivée sur le marché de jeunes chanteurs ou de jeunes chefs Il y a des théâtres en Allemagne de moindre importance comme Karlsruhe, ou Nuremberg, voire Cottbus qui affichent des productions souvent passionnantes à des prix défiant toute concurrence pour le mélomane; il y en a d’autres de très grande importance qui affichent à des prix stratosphériques des productions sans aucun intérêt et des saisons assez creuses. Il faut donc étudier tout cela avec attention et le parcours mélomaniaque est une jonglerie entre les vols, les hôtels, les théâtres, les auteurs, les périodes de l’année, les collisions (horreur, il y a la même soirée Tristan ici et Don Carlos là !!) ou les couplages : trois villes, trois titres en un week end. Bref, un long travail de dentelle aussi épuisant que construire l’emploi du temps d’un établissement scolaire.
Je vais donc me consacrer à mes maisons préférées, ou obligées, du mieux possible pour n’en garder que la « substantificque moëlle ».
Le Bayerische Staatsoper est actuellement sans nul doute ma maison préférée. Elle allie pour moi souvenirs de jeunesse (Kleiber, Sawallisch), ambiance du lieu assez sympathique, à la riche mémoire avec ses bustes de chefs et ses portraits de stars ou de managers (un opéra qui n’affiche pas son histoire n’est qu’un garage de luxe creux) et politique artistique de qualité, mais surtout la présence d’un chef et d’un orchestre qui aujourd’hui ont peu d’égal dans la fosse. Kirill Petrenko assure dans l’année un peu plus d’une trentaine de représentations, et d’autres chefs montent au pupitre, eux aussi dignes d’intérêt. La saison prochaine, Kirill Petrenko va diriger deux nouvelles productions et quelques représentations de reprises de spectacles mémorables.
En s’y prenant à l’avance, Munich est accessible à des prix raisonnables en train ou en bus, voire quelquefois en avion (même si les compagnies aériennes continuent d’afficher de prohibitifs suppléments kérosène quand le pétrole est au plus bas). Mais le Bayerische Staatsoper, c’est aussi un Intendant à idées, Klaus Bachler, d’une redoutable et malicieuse intelligence, qui vient d’annoncer son départ en 2021 en même temps que Kirill Petrenko, posant ainsi clairement une politique complètement intégrée avec son GMD. Munich, c’est une vraie équipe, une ambiance, un orchestre ; comment échapper à la fascination de ses saisons ?
Représentations dirigées par Kirill Petrenko :
Nouvelles productions :
Lady Macbeth de Mzensk (Chostakovitch) : 5 représentations du 28 Novembre au 11 décembre 2016 avec Anja Kampe et Misha Didyk, mais aussi Anatoli Kotscherga et Alexander Tsymbaliuk dans une mise en scène de Harry Kupfer.
Tannhäuser (Wagner) : 5 représentation du 21 mai au 8 juin 2017 avec Georg Zeppenfeld, Klaus Florian Vogt, Christian Gerhaher, Anja Harteros, Elena Pankratova « d’après » une mise en scène de Romeo Castellucci
Reprises :
Die Meistersinger von Nürnberg (Wagner) : 3 représentations du 30 septembre au 8 octobre 2016, avec quelques changements (Emma Bell en Eva), mais toujours avec Wolfgang Koch et Jonas Kaufmann reprise de la nouvelle production de David Bösch qui avant même la première le 16 mai 2016 suscite déjà des commentaires…
Die Fledermaus (J.Strauss) : 4 représentations du 31 décembre 2015 au 8 janvier 2017 à voir absolument pour la direction fulgurante de Kirill Petrenko
South Pole (Srnka) : 3 représentations du 18 au 23 janvier 2017 dans la distribution de 2016 (Hampson, Villazon)
Der Rosenkavalier (R.Strauss) : 3 représentations du 5 au 11 février 2017 avec Anne Schwanewilms dans la Maréchale
Die Frau ohne Schatten (R.Strauss) : 2 représentations en juillet 2017 (pendant le Festival) de la célèbre production de K.Warlikowski avec Michaela Schuster dans la nourrice, et sinon la cast d’origine (Botha, Pieczonka, Pankratova, Koch)
Mais cette prochaine saison, l’activité symphonique de Kirill Petrenko va passer à une vitesse légèrement supérieure (futur berlinois oblige), outre des concerts avec différents orchestres européens dont les Berliner Philharmoniker et le Royal Concertgebouw, il emmènera en tournée européenne son orchestre (le Bayerisches Staatsorchester) du 5 au 21 septembre 2016 successivement à
- 5 septembre Milan
- 7 septembre Lucerne
- 10 septembre Dortmund
- 11 septembre Bonn
- 12 septembre Paris (TCE) (Wagner, R.Strauss, Tchaïkovski) avec Diana Damrau
- 13 septembre Lindau
- 14 septembre Berlin
- 18 septembre Vienne
- 21 septembre Francfort
Les œuvres prévues (en alternance selon les villes) :
György Ligeti
Lontano pour grand orchestre (1967)
Béla Bartók
Concerto pour violon n°1 (Frank Peter Zimmermann)
Richard Strauss
Sinfonia domestica
Vier letzte Lieder (Diana Damrau)
Richard Wagner
Prélude Die Meistersinger von Nürnberg
Piotr I. Tchaikovsky
Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64
Et il dirigera enfin durant la saison trois Akademiekonzerte
- Les 19 et 20 septembre : 1.Akademiekonzert
Richard Wagner
Prélude Die Meistersinger von Nürnberg
Richard Strauss
Vier letzte Lieder
Piotr I. Tchaikovsky
Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64
- Les 20 et 21 février 2017 : 4.Akademiekonzert
Nikolai Medtner
Concerto pour piano n°2 en ut mineur op. 50 (soliste Marc-André Hamelin)
Serguei Rachmaninov
Danses symphoniques op. 45
- Les 5 et 6 juin 2017 : 6.Akademiekonzert
Serguei Rachmaninov
Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43
Gustav Mahler
Symphonie n°5 en do dièse mineur
Pour beaucoup de maisons d’opéra, ce programme suffirait largement à remplir l’agenda, mais Munich présente plus de 41 titres différents, sans compter concerts, productions du studio (cette année Le Consul de Menotti) et ballets.
Les autres nouvelles productions :
Ainsi donc, on comptera aussi avec quatre autres nouvelles productions
- La Favorite de Donizetti, 6 représentations du 23 octobre au 9 novembre 2016 (et deux représentations de Festival en juillet 2017) dans la version originale française, avec Elina Garanča, Matthew Polenzani et Mariusz Kwiecen, direction musicale de Karel Mark Chichon, mise en scène d’Amélie Niermeyer
- La création munichoise d’André Chénier de Giordano, pour 6 représentations du 12 mars au 2 avril (et deux représentations de Festival en juillet 2017), dirigé par Omer Meir Wellber après son triomphe dans Mefistofele cette saison, dans une mise en scène de Philipp Stölzl, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros, mais aussi Luca Salsi en Gérard
- Semiramide de Rossini pour la prise de rôle de Joyce Di Donato, pour 6 représentations du 12 février au 3 mars (et deux représentations de Festival en juillet 2017, sous la direction du remarquable Michele Mariotti, l’un des grands spécialistes actuels de ce répertoire, et dans la mise en scène de David Alden, qui revient à Munich pour l’occasion, avec, outre la grande Joyce, Alex Esposito (prise de rôle dans Assur), Lawrence Borwnlee, et Daniela Barcellona.
- Die Gezeichneten de Franz Schreker, dans une mise en scène de K.Warlikowski, dirigé par Ingo Metzmacher pour ses débuts à Munich, et pour la première du Festival 2017 (4 représentations en juillet 2017) avec Tomasz Konieczny, Christopher Maltman et Catherine Naglestad, ainsi que John Daszak et Alistair Miles.
- Oberon, König der Elfen de Weber, dans l’écrin du Prinzregententheater, ce Bayreuth en modèle plus réduit, dirigé par Ivor Bolton, dans une mise en scène du jeune Nikolaus Habjan, spécialiste de théâtre de marionnette et d’objets, pour 4 représentations en juillet 2017 avec Annette Dasch et Julian Prégardien.
Les reprises signalées
Enfin, dans les nombreuses reprises des productions passées avec des variantes de distribution, notons Boris Godunov (Dmitry Belosselskiy), La Juive (toujours avec Alagna), Mefistofele (dirigé par Carignani, avec Erwin Schrott à la place de René Pape), Macbeth (Netrebko), Guillaume Tell (Gerald Finley), Jenufa (dir.mus : Tomáš Hanus, avec Hanna Schwarz et Karita Mattila, Stuart Skelton, et en alternance Pavol Breslik, Pavel Černoch, Sally Matthews et Eva-Maria Westbroek) L’Ange de feu (avec Ausrine Stundyte), Les contes d’Hoffmann (avec Diana Damrau dans les 4 rôles féminins), Tristan und Isolde (Stephen Gould, René Pape, Christiane Libor et Simone Young au pupitre), Fidelio (Dir.mus Simone Young, avec Klaus Florian Vogt, Anka Kampe, Günther Groissböck), Rusalka (Dir :Andris Nelsons avec Kristine Opolais et Dmytro Popov, Nadja Krasteva et Günther Groissböck), Elektra (Evelyn Herlitzius), etc…
Le répertoire très ordinaire
Et dans les productions ordinaires, celles de tous les jours que même le site du Bayerische Staatsoper ne signale pas dans ses reprises notables, j’ai voulu extraire celle de Cenerentola (dans la production Ponnelle, avec Tara Erraught, Javier Camarena, dirigée par le très prometteur Giacomo Sagripanti) en juin 2017 pour 4 représentations, une Carmen aussi très ordinaire en janvier 2017 dirigée par Karel Mark Chichon, avec Anita Rachvelishvili et Genia Kühmeier, ou un Entführung aus dem Serail dirigé par Constantin Trinks avec Daniel Behle, Peter Rose, Lisette Oropesa…Ah..j’oubliais Un Ballo in Maschera en juin 2017 avec Francesco Meli, et tout le reste que vous pouvez consulter sur le site très complet du Bayerische Staatsoper.
Je ne sais qui aujourd’hui peut rivaliser avec Munich, dans la qualité musicale et les choix de distribution et le niveau moyen des productions (même si certaines pourraient être remisées…). Le seul regret qu’on pourrait avoir – et c’est bien le seul- c’est le manque d’imagination dans les choix de chefs pour le répertoire italien, et notamment pour Verdi, qui n’ont ni le relief ni l’intérêt des chefs choisis pour d’autres répertoires.
Mais on reste rêveur quand devant cette profusion, cette variété, cette offre quotidienne assez incroyable. Rêvons donc.
Evelyn Herlitzius dans Elektra (Prod.Wernicke) ©Wilfried Hösl