Après avoir présenté son livre il y a quelques semaines, nous avons posé quelques questions à Uli Reese. Considéré par les experts comme l’un des piliers de l’audio branding, retour sur son parcours et sa vision du secteur.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Uli Reese et je suis un spécialiste de l’audio-branding. Je suis le co-fondateur de l’agence internationale kIV2 spécialisée dans la musique pour les marques dont les bureaux se situent à Frankfurt et Nashville. J’ai eu l’occasion de travailler avec de très grandes marques, de l’habillage de campagnes ponctuelles à l’accompagnement de stratégie de marque à long terme. J’ai commencé ma carrière en tant que compositeur à Hollywood où j’ai travaillé sur de nombreux projets, tels que Star Trek : The Next Generation et « Goof Troop » des studios Disney. Dix ans après, je suis retourné à ma ville natale en Allemagne pour enseigner la musique de film et le sound design à l’une des premières écoles de cinéma en Europe : « Filmakademie Baden-Württemberg ». Au même moment, je m’occupais en parallèle de ma propre société de production de musique à Francfort. La musique a toujours été au centre de ma vie et je crois que c’est sans doute l’outil le plus efficace pour exprimer des connexions émotionnelles entre les marques et leur public. Je me vois comme un pilier de la musique dans l’industrie créative, et j’interviens fréquemment dans les festivals internationaux pour sensibiliser les gens à l’importance de la musique et du son dans leur travail. Récemment, j’ai également publié un livre sur ce sujet, « 101 Great Minds on Music, Brands and Behavior », constitué de plus de 100 interviews avec les « rock stars » de ce milieu donnant leur vision de l’avenir de l’audio branding dans la publicité.
Quelle vision avez-vous de l’audio branding en Europe ? Y a-t-il une vision allemande, ou américaine du secteur ?
Les marques américaines sont légèrement en avance sur l’Europe quand il s’agit d’audio branding. Quelques références de l’audio branding sont américaines, et elles ont révolutionné ce que nous qualifions d’audio branding aujourd’hui, dans le sens où elles ont placé la musique et le son au cœur de leur stratégie de marque. La bonne nouvelle, c’est que le marché européen y arrive doucement, mais surement. Une poignée de marques européennes ont fait du très bon travail d’intégration de la musique dans leur stratégie de marque, en mettant en place un langage, un ton de voix, un ADN musical, et en faisant parler et chanter leur marque sur tous leurs points de contact. Deutsche Telekom est l’une d’entre elles. Un autre excellent exemple est Wiener Linien, un société publique de transport autrichienne, qui a reçu un grand prix l’année dernière à l’Audio Branding Awards de Berlin. Cependant, il y a encore beaucoup de travail à faire –et nous sommes dessus ! L’audio branding n’est pas figé, il est en constante évolution. C’est d’ailleurs un domaine fascinant, car il touche tellement d’autres disciplines –de la psychologie au neuro-marketing, en passant par la médecine ou d’autres choses auxquelles on ne penserait pas du tout dans un premier temps, comme l’art culinaire par exemple. Dans notre agence, nous sommes d’ailleurs impliqués dans un projet de recherche avec l’université d’Oxford, où nous expérimentons sur la manière avec laquelle le son influence notre sens du goût. L’avenir du son et des marques est extrêmement prometteur, et je suis très fier et heureux d’en faire partie.
Quelles sont selon vous les identités sonores qui fonctionnent particulièrement bien ? Récemment, quelle création vous a le plus marqué ?
Deutsche Telekom est vraiment l’un des cas que je préfère. A ce propos, j’animerai un forum de discussion sur le sujet au Cannes Lions Festival of Creativity en juin prochain, et je suis très heureux que le directeur de la marque Hans-Christian Schwingen soit sur scène avec moi. Schwingen et son équipe sont à la base de la croissance fulgurante de la portée de la marque Telekom dans le monde sur ces dernières années. La marque a même été désignée le mois dernier comme la marque de télécommunication ayant le plus de valeur. Et la musique est au centre de leur stratégie de marque. La marque a non seulement une des signature les plus reconnaissable dans le monde mais également une façon quasi-parfaite de décliner son identité sonore sur ses supports de communication. Ils ont réellement compris en quoi la musique peut créer du contenu pour « raconter » leur marque. Ils ont réalisé leur propre plateforme musicale, à travers laquelle ils co-publient et co-écrivent des morceaux en collaborant avec des artistes plus ou moins jeunes. Ils sont devenus en quelque sorte leur propre entité musicale. Avec une maison disque, un label, une agence d’évènementiel, les frontières sont de plus en plus floues. Je suis totalement ébahi par leur vision créative et la façon dont ils l’appliquent à tous les niveaux.
Mais il y a également d’autres très bons exemples d’utilisation de la musique par les marques. La SNCF, que vous connaissez tous, a réussi à dépasser le simple cadre fonctionnel pour devenir une référence émotionnelle. Elle est aujourd’hui ultra reconnue au niveau domestique, mais également de plus en plus exposée à l’international. Je pense à David Gilmour, bien sûr, mais également à toutes les reprises du titre que l’on peut trouver sur YouTube et les réseaux en général. C’est un exemple très révélateur car il prouve à quel point l’empreinte musicale d’une marque peut marquer les gens, sans que la marque à laquelle elle est associée ne soit mise de côté.
Egalement, Ritter Sport, la société de chocolat, est un autre très bel exemple que j’aimerais mettre en avant, même si mon avis est forcément légèrement biaisé dans le sens où c’est mon agence qui est à l’origine de cette création. Du son des produits de la marque à son propre hymne, Ritter Sport a maintenant un prisme de son qui lui est unique, et qui reflète parfaitement son identité. Nous avons testé l’impact du son de la marque sur les clients, avec beaucoup de résultats.
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait pousser les marques à investir plus dans leur identité sonore ?
Nous avons véritablement besoin d’aller plus loin dans la recherche concernant l’audio branding et la façon dont on peut mesurer son impact. Nous avons déjà entamé une bonne partie du travail dans ce domaine. Par exemple, nous avons co-développé une nouvelle méthode pour mesurer l’impact du son et de la musique sur des sujets qui vont au-delà d’une simple appréciation « émotionnelle ». Cela va beaucoup nous aider à optimiser et détailler des stratégies musicales avec un très fort degré d’objectivité. Mais ça, c’est seulement le début.
Nous avons besoin de faire plus d’efforts pour donner aux marques de vrais outils de mesures qui les aideraient dans leurs prises de décisions liées à l’utilisation de la musique dans leur stratégie à long terme.
Nous avons l’ambition de créer une méthode qui permettrait aux clients qui investissent dans la musique de connaître les résultats chiffrés engendrés sur le long terme par cet investissement.
Quels sont les résultats clés pour les marques qui font de l’audio branding un domaine vraiment important ?
Je me suis rendu compte que beaucoup d’entreprises ne sont pas au courant des potentielles retombées économiques que l’audio branding peut apporter. Des neuro-scientifiques ont découvert que les consommateurs prennent des décisions d’achat de façon subconsciente. Si une marque peut être entendue et reconnue par le son – le son étant à l’image de son identité et déployé sur ses points de contact-, cela aura un effet de stimulateur de confiance sur son audience, qui, à terme, influence le comportement d’achat du consommateur.
C’est également la raison pour laquelle les marques qui réussissent voient leur identité sonore comme un actif financier, ayant une place dans leur bilan. Elles ne prennent pas le processus à la légère. Créer une grande identité sonore est à la fois un art et une science. Vous avez besoin du bon partenaire mais également de temps, d’argent et d’effort pour traduire en musique l’identité de votre marque.
Pour se procurer « 101 Great Minds », c’est par ici.
publié le 18/04/16