NOUVEAU NOUM, Saint Octobre (2016)
(Poésie)
« Rétrospective poétique de l’activité nucléaire soviétique puis russe en zone Arctique entre 1955 et 2016 ».
Au premier abord cet énoncé peut faire peur, très peur… Sentiment de grand froid qui traverse l’esprit, sensation de radioactivité littéraire parcourant notre corps… Et, pourtant, il ne faut en aucun cas se figer face à Nouveau Noum mais l’apprivoiser avec patience, l’appréhender avec délicatesse, le laisser nous envahir de sa poésie sèche, nerveuse et auréolée d’humanité. Car il s’agit là d’un concept fort, étrange et exigeant, un millepatte artistique, une beauté à six têtes qui a donné naissance non seulement à un texte et une musique mais aussi à un film et toute une série de photographies. Nouveau Noum, déroutant, inclassable et bien loin des sentiers battus s’érige en poésie vivante, volubile, tourbillonnante et charpentée qui explore le monde du nucléaire au travers d’une rédaction dense et puissante. Ici l’on ne cesse pas de respirer à la frontière des mots mais l’on s’envole au-delà du territoire de la langue pour la rehausser et l’affermir en compilant adroitement les arts et les talents…
Nouveau Noum s’illumine donc d’un arc-en-ciel d’écrits signés Jean-Baptiste Cabaud et sublimés par la musique sombre et profonde de David Champey ; s’ajoute au décor le film réalisé par « Cinéma Fragile » (Katia Viscogliosi et Francis Magnenot), les photographies lumineusement inquiétantes, presque stoïciennes d’Anne Bouillot et le graphisme de Clément Payot. L’aventure Nouveau Noum commence dès lors en 1955 et étire sa méditation jusqu’en 2016, parcourant ainsi soixante ans d’une activité nucléaire bouillonnante et terrifiante. Dix textes pour dix années capitales, de l’expulsion de ses terres du peuple Nénètse en passant par l’explosion de la bombe à hydrogène « Tsar Bomba » le 30 octobre 1961, de l’avènement puis la déchéance du brise-glace Lénine (premier navire civil à propulsion nucléaire) à la construction de la ville de Poliarnye Zori, Jean-Baptiste Cabaud s’immisce dans l’histoire floue et controversée du nucléaire et dépeint avec finesse cet univers eschatologique et sourdement inquiétant.
« Tu tousses. Et tousses encore, Lénine, à faire frémir. Vraiment, à donner peur. C’est peut-être pour ça, les hommes… S’ingénient à comprendre les cadrans, les voyants. Tournent les pages, scrutent les schémas. Sentent bien que tu ne te sens pas bien. Sentent bien, la maladie invisible qui te parcourt et se propage sous leurs pieds. »
Extrait de « Lénine trois-cœurs – 1967 »
Au cœur du réacteur de Nouveau Noum les intentions se cognent et s’entrechoquent, la ponctuation se fait omniprésente, erratique, intrusive, s’intercalant sans cesse entre les mots comme pour donner à entendre le souffle de l’auteur, comme pour mieux se frotter à sa sensibilité, ses engagements, ses cris, ses murmures, conférant à la lecture une véritable tension et la sensation que Jean-Baptiste Cabaud est là, tout près de nous, le corps et l’esprit entièrement dévoués. L’écriture est à la fois belliqueuse et raffinée, et la présence du poète pas si fantasmagorique puisque Nouveau Noum se décline sous forme d’exposition mais aussi de ciné-lecture-concert octroyant force et oxygène supplémentaires à un texte déjà foisonnant et d’une très grande vigueur. Le film fait d’images d’archives mais aussi d’images tournées à Berlin, Lyon ou Angers compile un nombre conséquent de paysages, de visages, de corps, le tout enveloppé d’une musique électronique nerveuse, hypnotique et pondéreuse renvoyant à un univers glacial et résonnant dans l’esprit du spectateur-lecteur comme autant de jointures faites de noir et de blanc, de vert, de jaune et de bleu, couleurs atomiques, couleurs apocalyptiques, Nouveau Noum comme un immense « Soleil vert » effrayant et magnétique.
« Difficile de percevoir jusqu’à quel point elle est vivante ou morte. De savoir si elle dort ou si elle agonise. Elle est immobile. Ne bouge pas. Ne réagit pas à la neige qui la recouvre, l’attaque, la prend d’assaut. C’est l’hiver depuis six mois, ici. Et ça va se prolonger. Encore. »
Extrait de « Les Transformations silencieuses – 1997 »
Nouveau Noum explore le faste et la folie de l’Homme, ses grands projets, son génie, ses ambitions, synonymes bien souvent aussi de dépression, de sauvagerie, de barbarie et de décadence, signification du nombre 22 apparaissant sous forme de typographie subliminale (quand le délire du blogueur se frotte à celui de l’artiste) sur la couverture de cette œuvre singulière, arborescente et fascinante, véritable ovni artistique entremêlant généreusement toutes les bulles de la création, cavalier protéiforme chevauchant une poésie indomptable et bienveillante…
« Ça. Brille de toute part, ça. Dans leurs yeux. Brille, c’est. Un soleil, c’est. Ça ! Ce jaune autour d’elle partout c’est. Soleil ! Bon sang, mais ça ! T’a pas sauté aux yeux ? Ils. Pensent qu’ils sont en train de construire un soleil, nom de. Dieu magique, électrique, mouvant, émouvant assez pour. Percer la nuit polaire pour. Réchauffer le cœur des hommes perdus pour. Ça ! C’est. Un soleil, c’est. Un soleil ! »
Extrait de « Barge de Barge – 2010 »
NOUVEAU NOUM :
Éditions La passe du vent
Parution : 11/03 /2016
160 pages
Français-anglais
EAN : 9782845622609
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