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(notes sur la création) Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

« Ce que j’appelle "justesse", c’est entendre au bout du poème une sorte de continu sonore sans heurt ni pause ni variation. Que je sois le seul à l’entendre ne change rien à l’affaire : il me faut cette "haute note jaune", stridente faible mais continue. Qu’ensuite le poème soit droit ou cassé, bancal ou équilibré, construit ou ruiné… c’est égal. Je veux ce son.
Ces moments étranges où le poème frôle ; on le sent non pas sous la main, mais à portée de main. Pourtant, si l’on essaie de le saisir, la main ne prend que du vide. C’est bizarre, rien ne s’écrit, mais on a senti dans le corps la possibilité d’un poème, à ce moment-là. Et puis ça s’éteint ; tout reprend son cours normal. Il s’agit bien d’une état mental particulier : comme si toute la tête était en éveil, à un point d’équilibre où un infime déplacement ferait basculer les mots sur la page. Mais on ne sait quoi déplacer, on préfère attendre ; rien ne se déplace ; et ça s’éloigne, sans que l’on ressente aucune frustration. Ça s’est éloigné parce que ça devait, et on reste là, face à la page vide.
Je n’ai pas souvenir d’une seule angoisse de la page blanche". Ce n’est pas la peur qui interdit d’écrire : les mots ne prennent pas la pente, voilà tout. La langue reste en suspension, dans une sorte de vibration légère, propice, annonciatrice d’un possible poème, et puis non. »
Antoine Emaz, Planche, éditions Rehauts
choix d’Isabelle Baladine Howald


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