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Musiques alternatives (1) : Jordanie

Publié le 15 juin 2008 par Gonzo
C’est une règle qui souffre peu d’exceptions, sur nos écrans de télévision en particulier : les images du monde arabe s’accompagnent presque inévitablement des mêmes illustrations sonores. Quel que soit le sujet, on a droit, au choix, à l'appel à la prière ou au solo de nay (flute) ! Comme si les clichés de la musique orientale devaient nécessairement faire contrepoint aux images toutes faites de la représentation médiatique des Arabes !
Pourtant, et pour peu que l’on sorte des stéréotypes sur les Arabes et leur musique dont on nous rebat les oreilles, on "entend" très vite que ça bouge beaucoup sur la scène musicale, même si on ne comprend pas les paroles ! Bien loin de ratiociner sur leur passé glorieux, les artistes d’aujourd’hui sont à l’écoute du monde dont ils se servent pour régénérer leur héritage.
Au regard de certains de ses voisins, l’Irak en particulier, la tranquille Jordanie ne peut pas se vanter de posséder une immense tradition musicale. La petite révolution qui s’y déroule depuis quelques années n’en a donc que plus de signification par rapport au pays lui-même, qui apparaît désormais comme un des lieux où se font entendre les "musiques alternatives". Elles ont en commun, dans la plupart des cas, de chercher à faire fusionner les traditions arabes avec les sons des musiques du monde.
Musiques alternatives (1) : JordanieLa grande vedette locale se nomme Zade Dirani (زيد ديراني). Agé d’une vingtaine d’années seulement, le jeune pianiste n’en a pas moins été retenu par le roi jordanien comme l’une des six personnalités jordaniennes "qui guident leur pays vers son avenir" (one of the six achievers that are leading the country into its new era). Choqué par les conséquences du 11 septembre, notamment en termes d’images des Arabes dans l’opinion mondiale, Zade Dirani a décidé de mettre sa musique au service de la compréhension entre les peuples.
Pour cela, il a créé Roads to You, une formation musicale qui regroupe des interprètes venus de tous les pays – y compris de Palestine et d’Israël -, relayée par une fondation qui propose notamment des projets au profit de l’enfance défavorisée (Beautifull world).
Musiques alternatives (1) : JordanieCe "merveilleux message de paix", selon les termes de la très américaine Fox News, va pouvoir être entendu à nouveau à Amman où Zade Dirani ne s’est plus produit depuis bientôt sept ans. Dans quelques jours, un énorme concert sera en effet donné dans l’amphithéâtre romain de la capitale jordanienne. Accompagné par le Royal Philarmonic Orchestra de Londres, Zade Dirani interprètera ses compositions au profit d’une fondation charitable dirigée par la princesse Haya, fille du roi Hussein et épouse de cheik Mohammed Bin Rashid Al Maktoum (Premier Ministre des Emirats). On n'est pas très loin de la politique...
Sur cette vidéo où le jeune musicien explique son projet musical (en américain, à l’exception de quelques mots seulement en arabe), on peut se faire une idée de ses compositions… On n’est pas obligé d’apprécier mais une chose est certaine : elles ont un énorme succès. En tout cas, elles sont bien à l’image de Zade Dirani : mariage de saveurs orientales et occidentales où les dernières l’emportent tout de même nettement sur les premières qui donnent un peu l’impression de n’être là que pour faire couleur locale… (On peut découvrir davantage sa musique en acoutant cette vidéo qui présente son projet Road to You: Celebration of One World.)
Musiques alternatives (1) : Jordanie
Même cocktail musical, mais dans une proportion qui donne plus de présence à la part arabe, dans l’autre grand succès de la scène musique jordanienne, le groupe Rum. En choissisant, en 1998, le nom de cette partie rocailleuse du désert jordanien – le Wadi Rum -, Tareq Al Nasser (طارق الناصر) et sa sœur Rusul entendaient bien affirmer leur identité locale, même s’ils se proposaient de la renouveler par l’apport du jazz notamment. Le leader, pianiste et accordéoniste, est également compositeur, de musiques de feuilletons en particulier, lesquelles ont fait beaucoup pour la réputation, désormais internationale, dont bénéficie le groupe. Une visite sur leur site (tout en anglais) permet de se faire une idée assez complète de ces variations musicales où l’on peut trouver que les influences étrangères l’emportent un peu trop sur les apports locaux.
Selon les goûts, les proportions du cocktail peuvent varier du tout au tout. Ainsi, un certain nombre d’interprètes choisissent de mettre l’accent - c’est le cas de le dire puisque c’est souvent une question de paroles, chantées dans les variations locales de l’arabe moderne - sur le côté jordanien de leurs créations. On a ainsi le chanteur et guitariste autodidacte Yazan Al Rousan (يزن الروسان) qui propose (voir cette vidéo) une sorte de folksong oriental qui fait écho aux préoccupations de la jeunesse branchée.
Mêmes orientations folk & jazz chez Aziz Maraka (عزيز مرقة), né en Tunisie mais élevé en Jordanie (des exemples musicaux sur son site – intelligemment light pour être utilisable par ceux qui ne disposent pas de connexion au débit), chez Maccadi Nahhas (مكادي نحّاس), surtout dans son second disque Khikhal (خلخال) ou encore chez la chanteuse Ruba Saqr, que l’on peut entendre ici chanter "Sadaqa".
Chez tous ces interprètes, qui appartiennent à la même génération, celle des 20/30 ans, on retrouve un même goût pour les musiques venues d’ailleurs, et en particulier pour le jazz. Dans la très intéressante école du jazz oriental (il faudra bien en parler un jour dans ces billets), la Jordanie peut s’honorer de proposer des tentatives qui méritent d'être écoutées. Musiques alternatives (1) : JordanieLe guitariste Kamal Musallam (كمال مسلم) est sans doute lplus célèbre. Né au Koweït, il est aujourd’hui de retour en Jordanie où il a fait ses études, notamment en architecture (des échantillons de sa musique sur ce lien, en particulier de son dernier disque, Out of My City, passionnant !). Mais il faut écouter aussi le groupe Sign of Thyme (en arabe Le temps du thym : زمن الزعتر), que l’on peut entendre jazzer ici sur My Favorite Things joliment orientalisé. Mais le plus décoiffant à mon goût, c’est Ayman Tayseer (أيمن تيسير) qui propose, entre autres tentatives ébouriffantes, Jazz Abdul Wahab, une interprétation "jazzorientalisée" du classique de la grande chanson arabe.Musiques alternatives (1) : Jordanie
Plus encore que le jazz, le rock a ses admirateurs dans la jeune génération : tendance grunge and punck chez Akheer Zapheer (Le dernier soupir ! أخير زفير) : leur dernier titre, "Hob ayam zaman" (Amour d'antan), est pourtant bien sage ; ou carrément Death Metal, Black Metal, Trash Metal, Heavy Metal (c’est eux qui le disent), chez Tyrant Throne (vidéo où le son est pris d’assez loin pour ne pas être trop fort !)
Amman n'est pas une exception et les frontières de la musique bougent beaucoup dans le monde arabe... (à suivre)
En attendant, pour ceux que le sujet intéresse, deux sites parfaitement indispensables et qui ont l'avantage d'être rédigés autant en anglais qu'en arabe :
- The Musical Thoughts of Ruba Saqr, l'interprète de Sadaqa, qui écrit régulièrement pour le quotidien Al-Hayât (ce billet lui doit beaucoup !)
- et Khobbeizeh, qui propose davantage de vidéos, mis en ligne par le graphiste Muhammad Al Qaq.
Bonne écoute !

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