réalisé par Jeff Nichols
avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton, Adam Driver, Kirsten Dunst, Sam Shepard, Sean Bridgers, Dana Gourrier...
Science-fiction, drame américain. 1h50. 2016.sortie française : 16 mars 2016
Fuyant d'abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy, père de famille et son fils Alton, se retrouvent bientôt les proies d'une chasse à l'homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. En fin de compte, le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d'accomplir son destin. Un destin qui pourrait bien changer le monde pour toujours.
Jeff Nichols est un de mes réalisateurs chouchous. Suivant sa carrière de près, j'ai alors vu tous ses films et je n'ai jamais été déçue, au contraire je les trouve tous excellents. Pour moi, Take Shelter est même un chef-d'oeuvre. J'attendais donc beaucoup Midnight Special (présenté à la dernière Berlinale en compétition), qui avait l'air sur le papier différent des précédents films de Nichols grâce à cette incursion vers la science-fiction. Pour la petite info (pour ceux et celles qui ne l'auraient pas eu), le titre, comme tous les autres longs-métrages de Nichols, fait référence à une chanson folklorique traditionnelle interprétée par des prisonniers du sud-est des Etats-Unis au début du 20e siècle. Cette chanson a été reprise par Huddie William Ledbetter en 1934, puis reprise par Harry Dean Stanton en 1967 dans Luke la main froide. Mais surtout, ce qui peut expliquer davantage le choix du titre, le groupe Creedence Clearwater Revival l'avait interprété dans le film La quatrième dimension en 1983 (merci Allocine). J'avais confiance en Nichols (même si, en même temps, j'avais un peu peur qu'il se casse aussi la gueule avec la SF justement) et Midnight Special est effectivement à la hauteur de tout ce que je pouvais imaginer. On pense évidemment à certains films de Spielberg ( Rencontres du Troisième Type, E.T.) ou visiblement à Starman de John Carpenter, les références et les hommages sont visibles. Cela dit, contrairement à beaucoup de films actuels (qu'ils soient bons ou non), je n'ai pas trouvé que ces fameuses références bouffaient le long-métrage. Selon moi, on retrouve vraiment la patte de Nichols là-dedans, il y a alors une véritable cohérence entre ce Midnight Special et le reste de la filmographie du réalisateur américain. Tous les thèmes qu'il aborde depuis le début de sa carrière sont bien présents : le monde de l'enfance, la peur de laisser son enfant partir (dans tous les sens du terme), la peur en général d'ailleurs, la famille fragilisée ou encore la survie dans la nature. Il y a même des images évocatrices, rappelant également son univers esthétique. Rien que ces éléments sont rassurants : on peut confier à Jeff Nichols un budget plus important tout en gardant sa personnalité. Il a d'ailleurs expliqué que les studios lui avaient laissé toute sa liberté, c'est-à-dire qu'il a pu garder le contrôle de son oeuvre et son équipe habituelle. Je pense que ça peut aussi expliquer la réussite de ce film. J'ai en tout cas été sensible (j'étais même émue) aux propos du film qui tournent principalement autour de la perte d'un enfant, même si ici, via la science-fiction, cela reste métaphorique. J'ai senti en tout cas un véritable traumatisme de la part de Jeff Nichols. Les interviews qu'il a donnés m'ont confirmé mon impression, c'est-à-dire qu'il a failli perdre son propre fils.
Selon son ressenti, on peut voir la place du deuil dans cette oeuvre mais encore une fois il y a plus généralement l'idée de voir son enfant unique et extraordinaire partir, s'émanciper, vivre sa vie dans une autre communauté pour qu'il puisse s'épanouir et être lui-même. Le propos, très beau, est alors comme je l'expliquais, mis en avant intelligemment par les codes de la science-fiction. Il y a quelque chose de classique (certainement par les hommages à certains films cités plus haut) mais en même temps on ne tombe pas dans une nostalgie dégoulinante. Esthétiquement, c'est très réussi, il y a même des scènes assez spectaculaires sans que ce soit " too much " comme on peut le voir dans certains blockbusters. Midnight Special ne se limite pas uniquement à un film de science-fiction esthétiquement réussi qui livre une jolie réflexion autour de l'enfance ou même à une critique du gouvernement américain et des sectes qui sont capables de détruire des enfants en construction personnelle en se servant d'eux dans le but de pouvoir réussir leur entreprise. Selon moi, le film fonctionne en partie très bien grâce à son montage très réfléchi : on parvient à suivre deux histoires en même temps (d'un côté, comment se déroule le " kidnapping ", de l'autre, comment se débrouillent les autorités pour retrouver l'extraterrestre et sa famille) sans se perdre et en permettant à l'histoire d'avancer petit à petit. Le rythme est justement aussi un point fort pour moi même si je sais qu'il pourra déranger certains spectateurs. On ne peut pas dire que l'intrigue se déroule rapidement au contraire. Tout est concentré en quelques petits jours et pourtant le temps semble étirer. Je ne me suis pas ennuyée et j'ai trouvé ce choix audacieux. L'attente est à mon avis un des éléments centraux de ce film. Tous les parents au monde se sont certainement retrouvés dans cette situation d'attente, où le temps semble être suspendu alors que les événements se déroulent parfois en peu d'heures ou jours. C'est cette attente en question qui crée une tension dans ce film et même qui participe en quelque sorte à son ambiance. Elle permet aussi de mieux cerner les personnages, leur but aussi. Pas tout est servi sur un plateau, on doit apprendre à comprendre qui ils sont, pourquoi ils doivent agir ainsi et pourquoi justement le temps doit être géré. Ce pari était très risqué car en plus on aurait pu se sentir délaissé en prenant le temps à connaître les personnages mais encore une fois, Nichols a su gérer ce point et lui donner du sens. Enfin, Midnight Special est porté par un excellent casting, que ce soit le charismatique Michael Shannon (acteur fétiche de Jeff Nichols depuis le début de sa carrière), le surprenant Joel Edgerton, le très prometteur Jaeden Lieberher, la douce Kirsten Dunst ou encore Adam Driver qu'on voit définitivement partout (et tant mieux car il est toujours aussi doué).