Il avait encore neigé pendant la nuit

Publié le 15 avril 2016 par Mentalo @lafillementalo

Comme à chaque fois, la magie de la route en lacets fonctionnait. Il flottait un parfum de légèreté dans la voiture, un peu d'excitation aussi. La neige nous aurait-elle attendus? Le soleil se montrerait-il? Est-ce que les lieux auraient changé, nos lieux, à force, nos petites habitudes, et puis celles qu'on rajouterait cette année encore. Est-ce que la montagne s'éclairait toujours de jaune or le matin, de rose poudré le soir? Est-ce que tout serait finalement comme avant, refuge malgré les courants et les bouillons de notre hiver, est-ce que là haut nous pourrions être heureux comme à chaque fois?


Nous avions laissé le noir tout en bas, à la sortie de l'autoroute, pour nous laisser gagner progressivement par le blanc, redevenir des enfants dans la neige, cligner des yeux au soleil qui réchauffe nos visages si pâles et tirés.

Le canapé était neuf, les meubles avaient bien un peu changé de place dans le chalet - nous avons un peu grogné, pour le principe, évidemment, avant de nous y faire. Les chocards sur la terrasse étaient au rendez-vous, le sourire des commerçants, des personnels de la station aussi, qui trouvent comme toujours que les enfants ont bien grandi. La douce parenthèse, sept jours et sept nuits, le temps de rêver un peu qu'on vivrait là pour toute la vie, à glisser en chaussettes sur le parquet le soir, après avoir glissé dehors toute la journée.

Comme chaque année on a fait des concours de fleurs de chantilly sur le chocolat chaud du goûter, on a fait un tour en cabine avec Ultime juste parce qu'elle adore ça, et puis jeter des boules de neige tout en haut de la montagne c'est mieux que tout en bas. On a fermé les yeux, et le raclement des skis sur la neige du petit matin rappelait furieusement le bruit des vagues (celles que je ne vous ai pas encore racontées, c'est vrai), essayez, vous verrez. Et dans la poudreuse tombée comme un cadeau ce matin-là, nous avions tous cinq ans subitement.

J'ai eu comme à chaque fois les larmes aux yeux quand j'ai découvert ma dernière née, ma toute petite je vous assure, descendre la piste sur ses skis minuscules à la recherche de Pimpin le lutin dans sa cabane de bois (il était parti acheter des croissants). J'ai compté les années sur les doigts d'une seule main, avant que tous ne me dépassent en riant. J'ai compté les casques, les lunettes les bâtons et les gants, pour n'en perdre aucun. On a bien sûr un peu râlé lors des parties quotidiennes de Trivial Pursuit, non mais c'est quoi ces questions?

J'ai respiré, déplié mes alvéoles pulmonaires, redressé le dos, habitué mes yeux à la lumière. J'ai marché, couru dans la neige qui craquait sous mes pas, avec l'enfant endormie tout contre mon dos. Tiré une luge qui pesait cent tonnes pour remonter la pente qu'on venait de dévaler. Acheté des brioches pralinées pour le dessert. Mangé, bu, trop certainement, et ce n'était certainement pas grave vu que c'était tellement bon. J'ai regardé la neige tomber de sous la couette, en terminant Purge, puis en dévorant Petit Piment.

Et puis alors qu'on ne s'y attendait pas, qu'on avait rien vu venir, le dernier jour est arrivé. La fierté des enfants de nous ramener leur médaille. Les adieux, les à l'année prochaine, pour que ça pique moins les yeux. Les mercis.

En une heure toute trace de notre passage était effacée, nous n'avions laissé que des souvenirs dans le lit cabane, dans le salon chaleureux, dans les chuchotis des chambres partagées. Nous avons refermé la porte, il avait encore neigé pendant la nuit. Nous avons repris la route, descendu la route dont nous connaissons maintenant chaque lacet, et avons découvert qu'en bas, c'était le printemps déjà qui explosait sur nos visages hâlés.