L’ennemi sucré

Publié le 15 avril 2016 par H16

Si vous êtes Américain et que vous n’avez pas le diabète ou le pré-diabète, tant mieux pour vous, mais vous êtes à présent dans une minorité.

Oui, vous avez bien lu. Les chiffres de l’OMS sont malheureusement sans grande ambiguïté : au 14.3% d’adultes américains qui sont déjà diabétiques (de type 2), il faut ajouter les 38% d’entre eux qui sont en pré-diabète (en hyperglycémie permanente, c’est-à-dire dont le taux de sucre dans le sang oscille entre 1,10 et 1,26 grammes par litre). Autrement dit, il y a actuellement plus d’Américains diabétiques ou en passe de le devenir que d’Américains bien portants. L’ « épidémie » continue donc à s’étendre de façon dramatique.

Ici, les contempteurs habituels de l’american way of life bondiront bien évidemment sur l’occasion pour y trouver une source de réjouissance… Qui devrait être de courte durée, lorsqu’on sait que l’Europe suit le même trajet sanitaire que celui qu’emprunte le continent nord-américain en claudiquant ; ainsi, la France compte actuellement près de 3 millions de diabétiques et devrait en compter plus de 5 d’ici à 2022. Surtout, l’évolution du nombre d’individus concernés sur les vingt dernières années ne laisse aucun doute puisqu’on constate une augmentation constante.

Quelques facteurs explicatifs simples

Cette évolution du nombre de diabétiques, et notamment de diabétiques du type 2 (l’insulino-résistance), très majoritaires chez ceux atteints par cette maladie, est à rapprocher de la prise de poids moyenne des populations. On le sait, l’obésité gagne du terrain depuis plusieurs décennies, et dans un nombre croissant de pays. De façon intéressante, l’explosion du nombre d’obèses et de diabètes a longtemps été lié à l’accès facile à une nourriture riche et abondante, et l’un et l’autre phénomènes sont souvent représentés comme les résultantes de la sortie des périodes difficiles pour les pays occidentaux d’abord puis de tous les autres. Malheureusement, relier l’augmentation de ces maladies à l’enrichissement des pays reste une approximation grossière : des pays riches ont su conserver une population où le nombre d’obèses ou de diabétiques reste modéré.

Et petit à petit, alors que les études médicales se font plus nombreuses, plus précises et plus documentées sur les habitudes alimentaires et les effets observés, un schéma d’ensemble se dégage : la prévalence de l’obésité et des diabètes dans la population suit jusqu’à présent de façon assez remarquable la consommation, en constante augmentation, des sucres de toutes formes qu’on trouve dans notre alimentation.

Bien sûr, on pourra facilement pointer du doigt certaines habitudes nutritionnelles déplorables qui alourdissent la tendance : l’introduction de boissons sucrées, un peu partout, facilement accessibles et à des prix très démocratiques, a certainement joué un grand rôle. De la même façon, le succès toujours non démenti des chaînes de fast-food (dans lesquelles sont, justement, favorisés ces sodas) explique en partie cette hausse de la consommation de sucre. Au passage et toujours pour nos indécrottables contempteurs des habitudes alimentaires américaines, n’oublions pas que la France, en matière de chaînes de fast-food, reste le pays des franchises les plus rentables dans le domaine…

En somme, au vu de ces éléments, il pourrait sembler aisé de rappeler la responsabilité dans l’extension de ces maladies des consommateurs, un peu trop friands de sucre d’une part, et celle des restaurateurs spécialisés dans la nourriture industrielle d’autre part. Ce ne serait pas faux : les uns et les autres ont évidemment contribué au résultat observé. Mais s’arrêter là serait un peu trop court. Un acteur important – le plus important sans doute – est ici oublié de la photo de famille, et ce n’est pas seulement parce que tous les protagonistes ont enflé au-delà du cadre.

Un peu d’histoire

Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il faut garder à l’esprit que les sodas et les fast-food existaient déjà dans les années 50, 60 et 70, et que l’explosion de diabètes et d’obésité n’a vraiment commencé à se faire sentir qu’après les années 80. On arguera facilement qu’un tel phénomène de société prend du temps à s’installer, mais au début des années 80, plus d’une génération complète avait pu goûter aux joies du BigMac frites et du Coca, sans que, pourtant, les prévalences observés n’atteignent les taux actuellement observés.

C’est là que les autorités (gouvernementales d’abord, sanitaires ensuite) interviennent, et plus précisément dans la seconde moitié des années 70 : c’est à ce moment en effet qu’apparaissent, à la suite des recommandations officielles du ministère de la santé américain visant à lutter contre les problèmes cardio-vasculaires, les recommandations de lutte contre la présence de matières grasses dans la nourriture. Notons qu’à la suite de ces recommandations américaines, à peu près tous les autres pays occidentaux ont suivi, France y compris, avec plus ou moins de décalage et de bonheur dans la copie de ces consignes.

Tout se passe comme si les autorités, découvrant un problème de santé (une augmentation alarmante des problèmes cardio-vasculaires), avaient trouvé un coupable (les graisses) et avaient orienté, plus ou moins massivement, les consommateurs et les producteurs vers des nourritures de substitutions qui, à leur tour, ont entraîné un problème plus grave encore (celui de l’obésité et du diabète).

Du reste, certains éléments corroborent cette thèse : les industriels, confrontés aux campagnes sanitaires contre le gras, ont assez rapidement adapté leurs processus de fabrication. Or, pour remplacer les matières grasses des aliments, qui véhiculent généralement le plus de saveurs, un des ingrédients de substitution privilégié sera le sucre, sous forme de glucose ou de sirop fructose-glucose. Outre son prix modique, le sucre (comme le sel) est un exhausteur de goût et permet donc de compenser la perte de saveur des aliments qu’entraîne le retrait des matières grasses.

En outre, introduire des doses plus ou moins importantes de sucre ne posait pas de problème puisque ces mêmes autorités sanitaires avaient tacitement donné leur accord, notamment grâce à l’introduction de la fameuse pyramide alimentaire produite par le USDA (US Department of Agriculture) dans laquelle on retrouve ces sucres, féculents et autres céréales en première position.

Depuis, les recherches médicales, tant sur les problèmes cardio-vasculaires que sur les problèmes d’obésité et de diabètes, permettent de comprendre que si certaines graisses peuvent en effet provoquer des maladies cardio-vasculaires (les graisses trans hydrogénées, produites de façon industrielle, et l’acide linoléique), c’est bien le sucre en général, et notamment le fructose (qu’on retrouve dans le HFCS), qui est le principal responsable de l’explosion catastrophique des cas de diabète de type 2 et d’obésité dans le monde.

De ces éléments, on pourra retirer quelques enseignements éclairants.

En premier lieu, ces dérives alimentaires montrent que, conformément à ce qu’on observe dans bien d’autres domaines, les individus accordent finalement bien trop confiance à leur gouvernement, quand bien même celui-ci n’a jamais vraiment fait la preuve de sa grande clairvoyance. Ils ont assez docilement suivi, avec obéissance (puis obésité) les fines recommandations qui leur furent fournies par les autorités et qui en menèrent une partie directement à la tombe.

En outre, il apparaît que les autorités, en se mêlant de nutrition, ont causé d’énormes dégâts, et le nombre de morts prématurés qui peut leur être imputé doit se compter en millions. Ne vous inquiétez pas : l’énorme avantage d’un gouvernement est qu’il n’est responsable que des réussites flamboyantes, les échecs étant orphelins et toujours supportés par tous, peuple en premier. Dans ce contexte, il est plus qu’urgent de se demander s’il est vraiment du sort de l’État de s’occuper de notre assiette.

Enfin, à l’aune des résultats calamiteux dans le domaine alimentaire, il est indispensable que tous, nous conservions le réflexe de nous tenir aussi loin que possible des recommandations du gouvernement en la matière, et, encore mieux, d’étendre cette légitime précaution à l’ensemble des « conseils » qu’il formule régulièrement, que ce soit en matière d’investissement, de sécurité, de gestion des énergies (renouvelables ou pas) ou de l’information qu’il nous distribue avec une générosité douteuse.

La santé, et finalement, notre vie sont des biens trop sérieux pour être laissés dans les mains de cette bande d’irresponsables.