Retiens ta joie ma fille
Après les déboires avec ma mère à cause de son conjoint, les nerfs usés, j’ai demandé à mon père de m’accueillir chez lui, dans l’appartement acheté avec sa femme dans cette grande usine à touriste qu’est Benidorm. Je ne suis fan ni de tours en béton, ni de pub anglais ou l’on te met quasiment à la porte si tu as l’outrecuidance de passer commande en castillan, mais Benidorm compte aussi beaucoup de tourisme espagnol et de bar à tapas pour distraire mes yeux, mes oreilles et mes papilles. Puis bon, au vu ma situation, je n’allais pas faire la difficile. J’étais contente de profiter de la plage et de la piscine. J’ai même bronzé, chose qui ne m’étais plus arrivée depuis… euh… une vingtaine d’années. J’aime le soleil, la joyeuse clarté dont il éclaire la vie, cependant je fuis ses bains, peut-être l’un des secrets grâce auquel je semble un peu plus jeune que je ne suis. J’ai positivé. Tenté d’ignorer l’amertume qui remplissait ma bouche. Je n’avais guère envie de bondir tel un joyeux cabris, mais il me semblait de bon goût de profiter de ma chance, et de dire à mon père que je passais un excellent séjour en sa compagnie, après les mois de grisailles vécus en Suisse et l’accueil mitigé de ma mère.
-Tu ne diras pas à Giovanna que tu t’es amusée, ça va la rendre dingue. Elle râle. Elle s’imagine que nous avions prévu ces vacances ensemble depuis le début.
J’avais déjà remarqué que mon père recevait de nombreux sms. Chaque fois il disait d’un air géné.
-C’est Giovanna…
En effet, contrairement à à mon père, sa femme de vingt ans sa cadette, est loin de l’âge de la retraite. Lors des nombreuses allées et venues de mon père en Espagne, elle reste en Suisse à travailler comme une bête de somme dans une entreprise qui ne lui fait aucun cadeau, ce qui crée parfois quelques tensions entre eux. Ceci dit ce n’est absolument pas mon problème. Comme tout un chacun, je pars en voyage pour me détendre, pour passer un bon moment. Pour oublier mon quotidien et son lot d’emmerdes car à l’instar de la plupart des gens, j’en traîne un wagon derrière moi. Je ne jette ni mon temps ni mon argent de la lucarne d’un avion, pour qu’on castre le moindre de mes sentiments positifs. Faut croire que j’en demande trop. Alors que tout le monde se rassure! J’ai passé un séjour totalement merdique! Surtout depuis que mon père ma demandé de retenir mon enthousiasme, enthousiasme que je m’efforçais d’avoir pour n’agacer personne -moi la première- à exhiber une tronche longue de trois kilomètres. Le pire c’est qu’il m’a recommandé de ne point révéler que j’avais eu de bonnes vacances au moins cinq fois en dix jours. Ce n’était pas la peine d’insister autant cher papa. J’ai retenu la leçon dès la première fois que tu m’as remis sur les rails de l’aigreur . D’ailleurs tu as sans doute remarqué la causticité de mes paroles fielleuses dès que j’ai su que chez toi aussi j’étais une indésirable.
Le plus marrant c’est qu’ensuite mes parents sont les premiers à dire que je suis une personne fort désagréable. Sans doute. Encore faudrait-il me donner l’envie d’être agréable.
Qui s’étonne qu’ensuite je me demande tous les jours ce que je fous sur cette putain de planète alors que la moindre de mes joies l semble déranger? S’apparenter à une agression?
J’espérais me rapprocher de mes vieux parents sachant qu’à leur âge je peux les perdre à n’importe quel moment, or je n’ai réussi qu’à me blesser, et à les meurtrir. Il est donc probable qu’il se passe beaucoup de temps avant que je tente à nouveau de resserrer les liens. Dans cette attente, il se peut que la mort nous sépare, me laissant dans l’affliction de l’amour filial incompris.
Benidorm Playa de Levante le 29 mai 2008.