Vendredi 13 juin, la presse nous annonçait : «George W. Bush arrive à l'Elysée pour un dîner privé avec Nicolas Sarkozy».
J’aimerais que l’on m’éclaire sur la signification du mot privé dans ce contexte. D’ordinaire, le mot privé s’oppose à public. Le palais de l’Elysée étant un lieu privé, tout ce qui s’y déroule est par nature privé. Même lorsque, à Versailles, des courtisans étaient admis à assister au lever du roi, accédant ainsi à une part de son intimité, la cérémonie conservait un caractère privé, le public admis se trouvant limité et rigoureusement sélectionné.
On pourrait peut-être prendre cet adjectif privé avec le sens qu’il revêt dans les expressions club privé ou bien soirée privée. On indique en ces circonstances que le lieu concerné n’est pas ouvert au public et que seuls les membres ou les invités y sont admis. Le palais de l’Elysée serait-il devenu un lieu public où tout un chacun pourrait entrer à sa guise ? En dehors des journées du patrimoine, où les foules sont conviées à admirer les ors de notre République, les accès à ce palais sont comme il se doit étroitement contrôlés. Même lors de la garden party du 14 juillet, seuls les invités sont admis et, en dépit de la foule, ce lieu demeure privé. Que peut donc bien être un dîner privé ?
Notre président ayant déclaré vouloir gouverner la France comme une entreprise, je risquerais une autre hypothèse. Le PDG d’une grande entreprise qui a convié à dîner un important client ou fournisseur étranger le reçoit dans quelque établissement prestigieux avec des invités de son choix et les frais de ce repas d’affaires seront naturellement supportés par son entreprise. S’il veut lui témoigner davantage d'estime, voire une sorte d'amitié, il le recevra à son domicile et, selon son rapport avec l’argent, se fera ou non dédommager des frais qu’il aura ainsi supportés. Le terme privé aurait-il été choisi pour signifier que notre Président entend payer ce dîner sur sa cassette personnelle ?
Je distingue encore une autre explication possible à l’usage de l’adjectif privé. On entend peut-être indiquer par là que ce dîner se déroule à l’abri des photographes et de la presse. Ceci me rend de plus en plus perplexe. Je garde le souvenir de plusieurs épisodes, une descente en pirogue sur le Maroni, une promenade à Marne-la-Vallée ou un voyage en Egypte où, judicieusement alertés, des journalistes ont abondamment relaté des épisodes très privés.
A-t-on voulu dire que ce qui s’est consommé, bu, dit, au cours de ce dîner restera secret, chaque convive ayant juré de n’en rien révéler, ou bien qu’il s’agissait d’un repas sans apparat, qui n’avait rien d’un dîner de gala, rien d’officiel, peut-être même simplement une bonne bouffe, sans étiquette, oserait-on dire à la bonne franquette, entre copains ?
L’omniprésence de ce mot privé laisse supposer qu’il a été instillé par quelque service de com’ pour proclamer la frugalité et l’économie de cette soirée mais, ne précisant rien que l’on ne sache déjà, il n’éclaire aucunement sa nature. En fait, il ne sert qu’à l’injonction suivante :
« Circulez, manants, il n’y a rien à voir ! »