Votre serviteur,
Comme je ne veux pas m’éclipser sur un dernier billet un peu amer (voir le précédent), je me permets de vous citer un extrait du livre de James Mc Connell, « Flying for France », paru en 1916. Mc Connell faisait partie de la célèbre escadrille Lafayette. Il sera abattu et tué en mars 1917, mais son récit permettra au public américain de mieux connaître et comprendre la terrible guerre qui avait alors lieu sur le continent.
Aux commandes de son chasseur Nieuport 11, il décrit de manière saisissante le champ de bataille de Verdun, tel qu’il lui apparaît vu du ciel, à l’été 1916, presque six mois après le début de l’assaut allemand. J’ai lu et relu ces lignes magnifiques au point de les connaitre presque par cœur. À chaque fois, elles me glacent du même effroi, me remplissent de la même stupeur :
« Immédiatement à l’est et au nord de Verdun s’étale une vaste bande brune. Il y a quelques mois encore s’étendait là un paisible paysage de champs, parsemés de fermes et de petits villages – mais c’était avant la bataille de Verdun. A présent, il n’y a que cette sinistre zone brune, une écharpe de nature assassinée. On croirait qu’elle fait partie d’un autre monde. Toute trace d’existence humaine a été anéantie. Les bois et les routes ont disparu, comme de la craie effacée d’un tableau noir ; des villages, rien ne subsiste sinon les vagues traces grisâtres des murs de pierre broyés. Les grands forts de Douaumont et de Vaux se discernent à peine, comme des trainées laissées par un doigt sur du sable mouillé. Il est impossible de distinguer un seul trou d’obus, comme ceux qui constellent les champs qui s’étendent de part et d’autre : dans cette bande brune, les cratères sont si étroitement imbriqués qu’ils se confondent dans une masse informe de terre bouleversée. Des tranchées, on ne discerne que des tronçons à demi effacés.
Des colonnes de fumée boueuse jaillissent continuellement de cette étendue martyrisée, que les obus ne cessent de fouailler toujours plus profondément. Lors des bombardements intenses et des attaques, j’ai vu les obus tomber comme la pluie… Le linceul de fumée qui recouvre la zone bombardée monte si haut qu’à 300 mètres d’altitude on est enveloppé dans ses tourbillons. De temps à autre, l’un de ces monstrueux projectiles déchire l’air tout prés de l’avion, qui oscille violemment dans son sillage. Des avions ont été ainsi pulvérisés.
Pour nous, la bataille se déroule en silence, car le bruit du moteur couvre tous les autres sons. Dans les taches de verdure qui s’étalent au-delà de la bande brune, des milliers de petits éclairs nous révèlent l’emplacement des canons : ces lueurs des départs, et la fumée des obus qui explosent, c’est tout ce que nous voyons du combat. C’est un étrange assemblage de silence et de chaos que cette bataille de Verdun vue du ciel. »