L'imposant bâtiment néo-classique conçu au 18eme siècle pour abriter les ateliers de l'institution monétaire nationale de la France, la Monnaie de Paris, a traversé les siècles et sa robustesse ne s'est pas trouvée fragilisée en accueillant les propositions quelque peu écrasantes que l'artiste Jannis Kounellis lui impose aujourd'hui. Et ce n'est pas le moindre paradoxe que de voir cet artiste représentant réputé de l'Art pauvre devenir pendant quelques mois le maître du temple de l'argent même si ses fabrications ont quitté l'Hôtel de la Monnaie depuis longtemps.
Arte Povera
Lorsque se fait jour l'idée d'« appauvrissement de l’art » en Italie où le jeune artiste Grec s'est installé, c'est un courant plus vaste qui se développe : l'expression Arte Povera est utilisée pour la première fois en septembre 1967 par le critique Germano Celant pour intituler une exposition présentée à Gênes. Elle emprunte le terme « pauvre » à une pratique théâtrale expérimentale, pauvreté comprise comme un détachement volontaire des acquis de la culture.
Le visiteur de la Monnaie de Paris, quarante neuf ans plus tard, passe du cadre classique, ses marbres, ses statuaires, ses ornements à une scénographie invasive, imposant à son tour le poids de ses réalisations, l'illisibilité immédiate de ses propositions. Ce premier contraste saisissant interpelle et l'ensemble de l'exposition entretient cette sensation singulière.
Kounellis affirme qu'il est venu à la Monnaie comme un vieux peintre, les mains vides. Dans ce lieu où une fonderie jouxtait le palais de la Monnaie, c'est en mémoire de cette activité qu'il a, semble-t-il, voulu donner le change en transformant les outils légers du peintre en chevalets de métal, disproportionnés par leur taille et par leur poids : "Le fer et le charbon sont à mon sens les matériaux qui évoquent le mieux la révolution industrielle, les origines de la civilisation contemporaine".
Photo :Manolis Baboussisok
Inventaire
Il faut très vite prendre en compte d'autres paramètres pour tenter d'appréhender cette manifestation intrigante. Car de la scénographie des objets à la mise en scène du vivant et même à la musique, on tend vers une forme de théâtre déroutant qui ne se livre pas aussi facilement que le souhaiterait le visiteur. L'inventaire à la Kounellis n'a rien à envier à l'inventaire à la Prévert : morceaux de charbon rassemblés sur un lit en fer, sacs noirs en toile de jute disposés à même le parquet, graines de tournesol, traces de suie, couvertures militaire, rats vivants installés dans des cages métalliques...
Un violoniste joue de son instrument tandis qu'une danseuse traverse la salle en diagonale, entre la toile et un mur de plaques d'acier sur lesquelles des manteaux noirs sont suspendus à des crochets, sommairement reliés les uns aux autres par de la ficelle.
Kounellis revendique cette qualité de l'espace d'exposition comme "une cavité théâtrale. On y expose un acte unique, à chaque fois".
La sensation passe avant la compréhension, le plexus avant le cortex. Mais cette forme de fraicheur que l'on attendrait d'un jeune artiste engagé sur le front de l'art, Jannis Kounellis, de ses quatre-vingts ans, en fait montre avec, j'imagine, une certaine jubilation.
Jannis Kounellis
11 mars 2016 - 30 avril 2016
Monnaie de Paris
11 quai de Conti
75006 Paris