Nous vivons une époque épique où semble se reconstruire le mot utopie. C'est le don malgré elle qu'a réalisé notre classe politique et particulièrement cette énarchie sous la férule du pouvoir socialiste qui a métamorphosé le concept socialiste en libéralisme. L'utopie est à l'ordre du jour pour en appeler à des changements ou à une reconstruction. principalement autour d'un idéal républicain. Un idéal à réinventer avec une morale publique qui puisse fonder un lien social. Créer l'utopie pour délaisser cette société en souffrance de générosité, cette société du cynisme, de l'obscurantisme grimpant, cette société du ressentiment qui s'enfonce jour après jour dans un moralisme confondant et un conformisme absolu. Faire bouger les lignes pour faire naître des idées et surtout bousculer cette vocation soit au maintien soit au retour en arrière.
Alors quand est sorti le dernier bouquin de Roland Castro j'ai, connaissant le personnage approché la première fois dans les années 70 à UP6 à La Villette, eu l'envie de le lire d'autant plus que devine dans ses propos une forte charge contre ce système qui a dérégulé notre société à chaque strate qui la compose. Il exprime avec lucidité une colère. Une colère d'un homme profondément républicain, de gauche et laïc... Une laïcité née de ses origines de petit gosse juif devenu athée et surtout protégé par des maquisards communistes limousins des exactions de la division SS Das Reich, puis élève des hussards noirs de la République à laquelle il doit tant. A la manière de Coluche, il appelle tous les Français qui ne croient plus aux hommes politiques à faire la révolution par le bas. Il désespère de cette France où l'écart entre riches et pauvres s'accroît considérablement. Il refuse le cauchemar d'une société où les salafistes, les Frères musulmans et le Front national seraient les seuls horizons. Il veut réagir et combattre une gauche en déclin de ses responsabilités et se refuse au credo que les inégalités sociales excusent tout et que les djihadistes assassins de notre jeunesse sont en fait des victimes de la société. Il veut fonder un républicanisme ferme, avec service civique obligatoire pour garçons et filles, laïcité matin, midi et soir, et une politique sociale digne de ce nom. Dommage veut-il énoncer qu'il ait fallu attendre le Bataclan pour que nos élites s'aperçoivent le bleu blanc rouge n'est pas la propriété des fascismes, des extrêmes., des radicaux. Il veut récuser ces élites qui ont vite replongé dans le déni et le " padamalgame " qui finira par déliter ce qu'il nous reste comme fondation du socle républicain.
Roland Castri a beau être architecte spécialiste des banlieues, il n'en est pas moins aussi conscient des fractures territoriales qui minent notre pays et refuse d'opposer le prolo périurbain au djeune-de-banlieue. Ce défenseur du bel habitat rêve de réaliser pour une grande région Paris-Le Havre, avec un Central Park à La Courneuve, du beau bâti à taille humaine dans des banlieues rebaptisées Paris-Gennevilliers, Paris-La Courneuve, Paris-Rosny-sous-bois afin de les désenclaver. Le compagnon de route de la Marche des Beurs voudrait appliquer l'adage du comte de Clermont-Tonnerre aux jeunes musulmans (tout leur reconnaître comme individus, rien comme communauté) assignés à résidence identitaire par " le mensonge institutionnel SOS Racisme ". Eh oui, dès 1984, Castro dénonçait l'imposture du droit à la différence et la sauvagerie de l'excision dans une lettre au Président Mitterrand. Trente ans plus tard, le sage avait raison : dans les territoires salafisés de la République aux mains de la mafia de grands frères, " il eût été préférable " de miser sur les " grandes sœurs " !
Il esquisse une Declaration des devoirs du citoyen : celui de ne pas se taire, celui de mémoire, celui d'hospitalité, celui de vote, celui de respecter l'autre dans sa différence, de protection de la Terre, de transmission du savoir, d'épargner la honte à l'autre, de réserver un traitement humain aux détenus, de donner un visage à ceux qui n'en n'ont pas... Il en appelle à l'institution d'un Sénat philosophique élu au suffrage universel direct. C'est à dire un lieu intense de réflexion sur les grands changements societaux pour répondre à l'urgence des débats d'idées aujourd'hui confisqués par le flot médiatique ligoté par la seule nécessité de l'immédiateté qui est la contingence de la rentabilité libérale.
Il en appelle à la reconstruction de l'école vidée de son essence républicaine et laissant nos enfants devenir de simples sujets de consommation moderne. Cette école qui n'est plus que l'écrémage d'une élite ne visant à renouveler une poignée de polytechniciens, énarques, pour reproduire et équilibrer un système de plus en plus inégalitaire où la lasse des élèves n'est que quantité négligeable, n'est que chair au libéralisme des entrepreneurs. Il en appelle à la fin du technocratisme, à la dissolution de l'ENA et à la reconstruction de la fonction publique. Et forme l'idée de créer la fusion entre topologie et politique c'est à dire la topolitique qui comme approche nouvelle des territoires entreprendrait de supprimer les fractures urbaines, périurbaines et régionales...
Je suis loin de tout partager avec Roland Castro mais son livre est outil libre de réflexion qui décomplexe du carcan et des méthodes du bien penser générées par d'ex partis politiques, des groupes de pression accrochés plus à leur devenir qu'à l'intérêt général.