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La fête des paires

Publié le 15 juin 2008 par Maitrechronique
Je crois bien qu’il me faudra prochainement attaquer la rédaction des premiers épisodes des «Thrombochroniques» que j’ai en tête depuis pas mal de temps. Certes, mes lecteurs les plus assidus remarqueront, avec raison, qu’ils attendent toujours le quatrième et dernier volets des «Pieds nickelés électroniques», longue saga appartenant, elle, à ce vaste ensemble que j’ai créé et réuni sous le vocable de «Stimulochroniques». Cette dernière partie est partiellement rédigée, mais… allez savoir pourquoi, je la laisse dormir pour l’instant, lui accordant un repos bien mérité. Elle verra le jour prochainement, c’est plus que probable…
En réalité, les «Thrombochroniques» devraient raconter de vieilles aventures, les premières n’étant pas loin de fêter leur trentième anniversaire… ce qui me conduit, par esprit de contradiction, à commencer par la fin et vous suggérer de prêter un minimum d’attention au fait qu’il m’a fallu, pas plus tard qu’hier matin, me procurer en pharmacie, trois paires de chaussettes, ou plus exactement, de bas de contention.
Mais je souhaite être précis dans mon récit et ne pas oublier que ces précieux bas me furent prescrits quelques minutes plus tôt par une angiologue… Non, soyons rigoureux : si je porte aujourd’hui ces «choses» solidement arrimées à mes mollets musclés par de longues heures de marche, c’est aussi et surtout parce que ma généraliste, alertée deux jours plus tôt par un œdème qui pouvait révéler une défaillance dans la bonne santé de mes jambes, décida derechef de m’expédier chez un spécialiste… Ah, et puis non : j’oublie l’essentiel ! Ma visite chez le médecin fut provoquée par la nécessité de lui montrer quelques blessures récentes, conséquences d’une chute qui scella le sort de mon jean préféré et ensanglanta mon genou, comme ça, dans la rue, sous l’œil indifférent de quelques congénères visiblement pressés et peu soucieux du devenir de l’un des leurs, ayant lamentablement échoué dans une tentative de vol plané urbain et qui avait fini sa course dans un roulé-boulé du meilleur effet. Pourtant, j’avais conjugué bien des efforts pour ne pas me ratatiner comme le dernier des ivrognes – auquel les dits congénères avaient probablement dû m’assimiler, j’explique ainsi leur totale indifférence ! Patatras, j’ai raté mon coup et la chute fut finalement rude, pas assez toutefois, on l’aura compris, pour susciter ce minimum de compassion que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de civisme. M’en fous, le prochain qui tombe, je le regarde, je le nargue et je laisse sur le bas-côté, chacun son tour…
Voilà pour la chute. Bobos, saignements, cicatrices, chevilles qui tendent malicieusement à un gonflement suspect, interrogation de mon médecin qui, malgré un lumbago provoqué par un éternuement trop violemment retenu, sut me diriger vers celle qui avait en mains les clés de mon pauvre destin. Une angiologue.
Les angiologues, j’ai tendance à m’en méfier un peu. La dernière que j’ai consultée, c’était il y a plus de vingt ans, m’avait soumis un diagnostic tellement erroné que j’avais dû retourner quelques heures à l’hôpital pour infirmer ses conclusions (et me faire injecter par les pieds je ne sais combien de litres d’un mystérieux liquide qui vous chauffe de l’intérieur, on appelle cet examen une phlébographie… mais bon, on verra plus tard, je vous raconterai) et diagnostiquer moi-même une certaine incompétence chez cette charmante dame qui, allez savoir pourquoi, continue d’avoir ici pignon sur rue. La médecine a ses mystères que la raison ignore parfois. Le portefeuille jamais !
Alors, hier forcément, j’étais tout de même habité par un soupçon de doute en entrant chez celle qui avait en charge la difficile mission de me dire où en était mon réseau veineux, après vingt-neuf ans de lente destruction.
Je passe sur les couleurs du cabinet : tout en bleu blanc et rouge. C’est amusant, on a l’impression de défiler sur sa chaise. Manque plus que la fanfare.
J’oublie le look de la dame, sorte de croisement pas forcément réussi entre une prof de maths à quelques années de la retraite et l’une de ces mamans bénévoles enseignant la catéchèse à l’école primaire. Gentille la dame, hein, je ne dis pas le contraire. Très gentille même, attentive et sereine.
Je fais abstraction de la surprise qui fut la mienne en voyant cette spécialiste extirper de son tiroir une fiche cartonnée qu’elle se mit à remplir consciencieusement à la main, avec un vrai stylo, tout en me posant les questions rituelles : nom , prénom, âge, profession, adresse… Moi, j’attendais un acte hyper technologique du début à la fin, avec saisie des informations dans une base de données méthodiquement sauvegardée, j’imaginais l’angiologue les yeux rivés sur un écran plat, écoutant d’une oreille distraite mes propos pendant qu’elle tapait à deux doigts sur un clavier sans fil. Vous avez remarqué : les médecins, maintenant, on a l’impression qu’ils ne vous voient même plus. Leur logiciel doit être bien compliqué pour qu’ils en oublient à ce point le patient qui est assis juste à côté d’eux. Ben non, elle, elle vous écoute, elle écrit tranquillement, comme au bon vieux temps. C’est bien, ça me plaît…
Le problème, c’est qu’il a fallu que je lui raconte toute l’histoire, depuis les premiers malaises en 1979, les chutes de tension, la fièvre , les douleurs, l’hospitalisation pendant deux mois, le premier diagnostic de leucémie foudroyante, le contre diagnostic ayant permis de mettre à jour une «thrombo-phlébite ilio-fémorale bilatérale des membres inférieurs et de cause indéterminée». J’ai dû poursuivre, raconter le pace maker, la bradycardie sinusale etc etc. Je suis habitué à cet exercice de synthèse mais à force, j’ai l’impression de me répéter, je cherche à chaque fois une anecdote nouvelle, du genre de celle où, au jour de mon entrée à l’hôpital il y a 29 ans maintenant, une infirmière avait demandé à la future Madame Maître Chronique qui j’étais pour elle et qui, sachant que j’étais en possession du titre officiel de fiancé, s’était vu répondre que l’histoire n’irait pas plus loin pour elle. Et quelques secondes plus tard, après un premier examen radiologique, elle poussa le brancard dans le couloir et hurla : «Enlevez-moi ça ! ». Merci pour l’accueil, je sais bien que nous étions un premier mai, mais tout de même, pourquoi tant de haine ?
Je n’évoque pas pour l’instant la montagne de paires de chaussettes qui encombrait le bureau de la dame hier matin : une livraison soudaine ? un arrivage inopiné ? Pas moyen de savoir, mais spectacle amusant néanmoins qui me laissait présager une possible intimité avec ces parements multicolores (oui, parce que de nos jours, le bas de contention a pris des couleurs, finie la teinte chair et le matériau caoutchouté qui vous cisaille le creux poplité des genoux. Aujourd’hui, on fait mode, y a des rayures, du fil d’Ecosse, du coton, ça rigole pas).
Ah, si j’avais le temps, je vous raconterais bien, une fois de plus, les mésaventures m’opposant au gel que ces sacrés fichus de médecins vous badigeonnent sur tout le corps pour mieux voir ce qui se passe à l’intérieur. A chaque fois, c’est la même chose, ça coule partout, surtout sur la chemise Lacroix toute propre et vous avez beau vider la moitié du paquet de mouchoirs en papier qu’on vous tend pour vous essuyer, y a rien à faire ! Il en reste toujours et vous le découvrez pile poil au moment où vous rhabillez. C’est fichu, ça va coller jusqu’au soir…
Tout cela pour dire qu’après un minutieux examen au cours duquel j’appris non sans satisfaction que bon nombre de mes veines s’étaient en partie re-perméabilisées et que mon assiduité à marcher quotidiennement entre cinq et dix kilomètres avait été du meilleur effet sur leur bonne santé, je serais néanmoins fort bien inspiré d’accepter de porter désormais ces fameux «bas de contention» dont j’avais abandonné l’usage depuis cet été de 1985 où, n’y tenant plus alors que je randonnais en famille quelque part du côté des Ménuires, j’avais jeté par dessus bord ces instruments de torture qui me faisaient souffrir inconsidérément dès lors que la température ambiante excédait 20 degrés Celsius. J’avais au moins cette chance d’être lorrain et de ne pas connaître si souvent de telles conditions climatiques, qui s’apparentent ici à une forme larvée de canicule.
Bon, ben, OK, fais voir les modèles m’dame ! Je veux bien en acheter, mais pas des trucs de vieux en caoutchouc qui puent au bout d’une demi-heure. «Meuh nan, vous n’y pensez pas mon bon monsieur, c’est fini ce temps-là ! Regardez comme elles sont belles mes chaussettes ! Elles sont pas magnifiques mes chaussettes ? Y en a des noires, des grises, des rayées, avec des motifs, c’est-y pas beau tout ça ?» Euh, oui, d’accord, on dirait que c’est moins pire qu’avant, mais bon, faut quand même être motivé pour enfiler ces trucs qui vont vous comprimer les mollets du matin au soir, au nom de je ne sais quel principe de précaution. C’est bien parce que j’ai pris de bonnes résolutions parce que sinon, vos bas de machin, là, je crois que vous pourriez les garder !
«Allez, je vous prescris trois paires tout de suite, et c’est à renouveler une fois !» Ah ouais, quand même, ça nous en fait six par an en moyenne, à ce train-là, j’en aurai bientôt plus que des chemises Lacroix (dont le stock actuel est de 9, je tiens à la rappeler, et qu’il me serait agréable d’élever au niveau suivant, parce que 10 est un joli chiffre et que le temps des soldes approche).
75 € et 60 centimes plus tard (pas mal, pour une petite demi-heure, non, vous ne trouvez pas ?), je partis en quête des paires magiques et me rendit chez mon pharmacien, charmant jeune homme qui me conduisit dans son arrière-boutique afin de prendre la mesure de mes mollets galbés. 37 centimètres au plus large, moi je trouve que c’est pas mal… Et ça nous fait, je pose 3 je retiens 8, alors… 28 € l’unité mais avec votre mutuelle, il reste 5,90 € à votre charge donc ça nous fait… euh, ben, 17 € et 70 centimes, c’est donné.
Voilà, je me demandais pourquoi depuis quelque temps il était question ici et là de «fête des paires», il paraît même que c’est aujourd’hui. J’ai compris.

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