d’Annie Ernaux
Roman – 240 pages
Editions Gallimard – mars 2008
Depuis l'après-guerre jusqu'aux début des années 2010, la France a changé, les vies ont mué. La narratrice évoque des souvenirs, des filles sur des photos, des instants marquants de sa vie personnelle inscrits très étroitement avec un passé et un présent collectifs.Très atypique, très particulier, la narration de cette autobiographie impersonnelle collective. Le "on" et le "elle" a remplacé le "je". Ainsi l'auteure s'approprie l'histoire de son peuple, de sa nation, de son univers socio-économique. Aux détails très personnels du quotidien, aux étapes de la vie familiale, sont mêlés les évènements de la vie politique, publique, comme les avancées technologiques et à la mutation de la société de consommation.
Extrait :
« On découvrait le bonheur d’ordre. La mélancolie de voir s’éloigner un projet individuel – peindre, faire de la musique, écrire – se compensait par la satisfaction de contribuer au projet familial.
Avec une rapidité qui nous stupéfait, on format tous de minuscules cellules étanches et sédentaires, se recevant entre jeunes couples et jeunes parents, considérant les célibataires comme une espèce immature qui ignorait les traites, les petits pots Blédina et le Dr Spock, dont la liberté d’aller et venir offensait vaguement. »
De ce fait, on sort de l'autofiction classique et on entre dans une micro-fresque sociologique qui balaye une longue période contemporaine.
Extrait : « Dans la périphérie des villes, de gigantesques entrepôts ouverts le dimanche, des halles, offraient des milliers de chaussures, d’outils et de meubles. Les hypermarchés s’agrandissaient, les caddies étaient remplacés par d’autres plus grands dont on touchait à peine le fond en se penchant. On changeait de télé pour avoir la prise Péritel et un magnétoscope. »
Certains passages sont frappants d'actualité. D'autres nous replongent en un clin d'œil à un souvenir précis, à un objet, à une pratique datée.
Extrait :« Le gouvernement retirait la loi, les manifestants retournaient à la fac et au lycée. Ils étaient pragmatiques. Ils ne voulaient pas changer la société, seulement qu’il ne leur soit pas mis des bâtons dans les roues pour s’y faire une bonne place.Et nous, qui savions pourtant bien qu’un « métier sûr », de l’argent ne rendaient pas forcément heureux, on ne pouvait s’empêcher de vouloir pour eux, d’abord, ce bonheur-là ».L'avis d'Alain - La Mer pour horizon (1)