Le Gouvernement vient de présenter un projet d'arrêté qualifié de "Premier volet de la programmation annuelle de l'énergie" (PPE). Tel n'est pourtant pas le cas. Ce projet de texte ne correspond pas à la nouvelle procédure PPE créée par la loi de transition énergétique mais à l'ancienne procédure de programmation pluriannuelle des investissements (PPI, antérieure à cette même loi. Je vous propose la lecture de cette interview par Libération et quelques explications complémentaires.
De la nouvelle PPE à l'ancienne PPILe sujet est un peu technique mais mérite que l'on s'y arrête, eu égard à l'enjeu. Qui est le suivant : le Gouvernement va-t-il abandonner l'application de la principale disposition de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique ?
Pour mémoire, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a pour pilier : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Il s'agit de la feuille de route de la France pour atteindre les objectifs généraux de la politique de transition énergétique désormais définis aux articles articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du code de l'énergie.
Sur le plan politique, la PPE est l'instrument qui doit permettre à la France de réaliser sa transition énergétique : économiser l'énergie et diversifier ses sources de production.
Sur le plan du droit, la PPE est donc le nom d'une nouvelle procédure d'élaboration de la feuille de route de la transition énergétique de la France. Cette nouvelle procédure, mise en place par la loi du 17 août 2015, vient remplacer une ancienne procédure qui avait le même objet : la "programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité et de chaleur".
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 août 2015, le Gouvernement est tenu d'élaborer un projet de décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie, conforme à cette loi.
Or, le Gouvernement vient de présenter un projet d'arrêté qui se borne à modifier les objectifs fixés en 2009 dans le cadre de l'ancienne procédure PPI. Il semble donc avoir abandonné, au moins à cour terme, le projet d'adopter une PPE.
Très précisément, ce projet d'arrêté modifie les objectifs des deux arrêtés suivants, signés par Jean-Louis Borloo alors qu'il était ministre de l'énergie :
- l'arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité ;
- l'arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production de chaleur ;
Ce projet d'arrêté créé deux difficultés.La première tient à ce que ce projet d'arrêté ne correspond pas aux exigences de la loi du 17 août 2015 votée par le Parlement. Or, le Gouvernement est tenu de publier les décrets d'application de cette loi dont le décret portant programmation pluriannuelle de l'énergie.
Si l'objectif de l'Etat était de s'en tenir à l'ancienne procédure PPI, il n'était pas nécessaire de voter son abrogation et la création d'une nouvelle procédure PPE.
Pourtant, plutôt que de présenter un décret portant sur la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie, le Gouvernement a fait le choix de modifier par arrêté l'ancienne programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité et de chaleur. Ce projet d'arrêté ne constitue donc pas du tout " le premier volet de la PPE " : il ne s'agit que d'une modification des objectifs de la PPI.
La deuxième difficulté tient à ce que la création de la nouvelle procédure PPE devait constituer un progrès par rapport à l'ancienne procédure PPI.Le dispositif de la programmation pluriannuelle de l'énergie défini par la loi du 17 août 2015 se distingue de programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité et de chaleur par plusieurs aspects, dont les suivants.
Il n'est donc pas possible d'assimiler PPE et PPI.
En premier lieu, la PPE est fixée après publication du budget carbone et de la stratégie bas carbone (article L.141-1 du code de l'énergie). La PPE doit être compatible avec ces deux documents publiés en novembre 2015 (cf. décret n°2015-1491 du 18 novembre 2015 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone).
La même exigence ne s'impose pas pour l'arrêté PPI.
En deuxième lieu, le décret PPE ne peut être publié qu'après la réalisation de deux études.
- La première concerne les scénarios de besoins énergétiques : " La programmation pluriannuelle de l'énergie se fonde sur des scénarios de besoins énergétiques associés aux activités consommatrices d'énergie, reposant sur différentes hypothèses d'évolution de la démographie, de la situation économique, de la balance commerciale et d'efficacité énergétique " (article L.141-2 du code de l'énergie).
- La deuxième tient à une étude d'impact : " La programmation pluriannuelle de l'énergie comporte une étude d'impact qui évalue notamment l'impact économique, social et environnemental de la programmation, ainsi que son impact sur la soutenabilité des finances publiques, sur les modalités de développement des réseaux et sur les prix de l'énergie pour toutes les catégories de consommateurs, en particulier sur la compétitivité des entreprises exposées à la concurrence internationale" (article L.141-3 du code de l'énergie).
De nouveau : la même exigence tenant à la réalisation de ces études ne s'imposait pas pour l'arrêté PPI.
En troisième lieu, la PPI permet de définir des objectifs sans dispositif de contrôle.
Le projet d'arrêté PPI comporte des objectifs sans valeur juridique et sans dispositif de contrôle de leur réalisation. Le dispositif PPE se distingue du dispositif PPI en ce que le législateur a souhaité définir des mécanismes permettant de vérifier la réalisation des objectifs définis.
Ainsi, aux termes de l'article L.141-5 du code de l'énergie :
- " La programmation pluriannuelle de l'énergie est révisée au moins tous les cinq ans pour deux périodes de cinq ans et, le cas échéant, les années restant à courir de la période pendant laquelle intervient la révision. "
- " Avant l'échéance de la première période de la programmation en cours, le comité d'experts mentionné à l'article L. 145-1 du présent code rend un avis sur cette programmation et élabore une synthèse des schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie "
- Le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie est soumis pour avis au Conseil national de la transition écologique et au comité d'experts de la transition énergétique
- Le volet de ce projet mentionné au 4° de l'article L. 141-2 est également soumis pour avis au comité du système de distribution publique d'électricité mentionné
- Une fois approuvée, la programmation pluriannuelle de l'énergie fait l'objet d'une présentation au Parlement.
Ces mécanismes de contrôle de la réalisation des objectifs de la PPE ne s'appliqueront en raison de ce retour à la PPI.
La PPE se distingue donc de la PPI : par ses études préalables, par ses conditions d'élaboration, par son contenu beaucoup plus complet et par le dispositif de contrôle et de révision de son contenu.
Si le projet d'arrêté devait être maintenu et donc le retour à la PPI confirmé, cela constituerait une mauvaise nouvelle pour la transition énergétique.
Arnaud Gossement