L’enluminure gothique voit le jour en France et en Angleterre dans les années 1160-1170, alors que les formes romanes restent dominantes en Allemagne jusqu'en 1300 environ. Pendant toute l'époque gothique, la France reste en tête des développements stylistiques de l'enluminure. Lors du passage du gothique tardif à la Renaissance, dans la seconde moitié du XVe siècle, l'enluminure perd son rôle d'art majeur à la suite du développement de l’imprimerie.
Au début du XIIIe siècle, la production commerciale de livres apparaît à côté de la production monacale. Simultanément, les artistes se font connaître par leur nom. La grande noblesse supplante le clergé comme principal commanditaire, si bien que la littérature mondaine, la littérature courtoise ou la chanson de geste deviennent les objets privilégiés pour l'enluminure. Le type de livre le plus illustré à usage privé reste néanmoins le livre d'heures (livre de prières).
En comparaison avec le style roman, l'enluminure gothique se distingue par un style de personnages souples et en action, ainsi que des plis de vêtements fluides. Cette tendance reste valable pour toute la période gothique et trouve son sommet dans le « gothique international ». D'autres caractéristiques sont l'utilisation d'éléments architecturaux contemporains pour compartimenter de façon décorative les parties d'une image. À partir de la seconde moitié du XIIe siècle, les décors fleuronnés — c'est-à-dire reproduisant des motifs végétaux, tiges, feuilles et fleurs, surtout bleus et rouges — ornent les initiales typiques des manuscrits de basse ou moyenne qualité. Des scènes n'ayant pas de lien direct avec le texte peuvent illustrer les initiales ou les pieds de page, et la liberté de leur thème contribue à l'individualisation de la miniature et à l’abandon des formules picturales stéréotypées. Au cours du XVe siècle, le réalisme naturaliste, avec perspective, effets de relief et de lumière, et anatomie réaliste des personnages prend place peu à peu, dans l'esprit de l’art des Pays-Bas méridionaux, annonçant la Renaissance.
Contexte historique
L'art gothique est un style marquant une époque de l’Occident, c'est-à-dire de l'Europe hors du domaine culturel byzantin, dont l’art exerce néanmoins une grosse influence sur celui de l'Europe occidentale. Le point de départ de l'art gothique est la France, qui reste jusque dans le gothique tardif la nation la plus avancée sur le plan artistique.
En France, l'art gothique envahit la miniature vers 1200, presque quarante ans après la construction des premières cathédrales gothiques. Le changement de style est daté en Angleterre de 1220, tandis qu'en Allemagne, les formes romanes se maintiennent en partie jusqu'en 1300. Partout, le changement de style dans l'enluminure est précédé par celui de l'architecture.
Vers 1450, la xylographie, et notamment la gravure sur bois, commence à concurrencer la miniature, très onéreuse. Le développement rapide de l’imprimerie, avec une première étape de coloriage à la main des illustrations dans la seconde moitié du XVe siècle, élimine largement l'enluminure, surtout grâce à la grave sur cuivre, qui permet de développer une technique d'impression irréprochable sur le plan artistique. Dès la fin du XVe siècle, la gravure sur cuivre dépasse l'enluminure, tant du point de vue de la rationalité économique que de la qualité artistique. Tandis que l'imprimerie devient un médium de masse, l'enluminure reste entièrement cantonnée à quelques codex de prestige, qui continuent d'être produits au XVIe siècle. Le changement de paradigme de l'enluminure coïncide à peu près avec le passage de l'ère gothique à la Renaissance.
L'introduction du papier comme support de l’écriture révolutionne profondément la production de livres. Le papier avait déjà été inventé vers l'an 100 par un fonctionnaire de la cour impériale de Chine. Il s'impose au XIIe siècle en Arabie et arrive en Europe aux XIIe et XIIIe siècles. Au XVe siècle il supplante le parchemin presque entièrement et rend la fabrication des livres beaucoup plus économique.
Pendant toute la période gothique, la production de livres augmente rapidement. Mais, dans la mesure où le livre devient plus accessible, le niveau de perfection de l'exécution se dégrade. Le codex de prestige ostentatoire sur parchemin, orné de miniatures en couleurs opaques et occasionnellement de dorures devient progressivement l’exception, tandis que les textes illustrés par des dessins à la plume, coloriés à l'aquarelle, ou portant seulement des initiales historiées sans ambition, deviennent la règle.
À partir du XIIIe siècle les livres illustrés sont destinés de plus en plus à l’usage privé. Les manuscrits usuels de petit format prennent ainsi de plus en plus la place des codex de grand format utilisés par les communautés monacales ou la liturgie.
Artistes et commanditaires
Les abbayes et les universités, particulièrement celles de Paris et de Bologne, perdent progressivement leur monopole. Cependant, la production ne concerne que des manuels de littérature théologique et juridique, rarement enluminés. Pour l'enluminure, c'est la haute noblesse qui est bien plus décisive, par ses commandes de livres de littérature courtoise laïque. Les dames de la noblesse jouent un rôle important pour la croissance de la littérature et de l’enluminure. Au XIVe siècle et surtout au XVe, ce cercle s'élargit à la petite noblesse, à la noblesse de robe, aux patriciens et finalement aux riches commerçants, qui commandent surtout des livres d'heures et autres ouvrages à usage privé. Les commanditaires nobles sont souvent représentés dans les miniatures de dédicace au début de l’ouvrage. Au moyen de ces tableaux, on peut ainsi suivre les tendances de l’art du portrait, qui devient de plus en plus réaliste.
Avec l'apparition des ateliers commerciaux pendant la période gothique, surgissent de plus en plus d'artistes de renom, qui laissent leur nom à la postérité. À partir du XIVe siècle, apparaît le maître typique, qui dirige un atelier consacré à la réalisation de tableaux et d'enluminures. Mais les scriptoriums monacaux restent néanmoins actifs.
C'est surtout dans les couvents réformés d'Allemagne méridionale, au XVe siècle, que l'on peut trouver des moniales comme Sybilla von Bondorf, enlumineuse réputée. Les ouvrages de ces moniales sont typiquement de couleurs gaies, avec des expressions pleines de sentiment, mais peu ambitieux sur le plan artistique. On ne sait pas si ces moniales ont participé à la confection des ouvrages exceptionnels faits pour les couvents de femmes, ou dans quelle mesure des femmes ont pu participer aux ateliers professionnels. Pour les couvents de femmes, de splendides livres enluminés sont réalisés, tels le Graduel de Katharinental ou le Graduel de Wonnental. L'auteur, Christine de Pisan, raconte vers 1405 dans son ouvrage La cité des dames, l'histoire de l’enlumineuse Anastasia, qui a notamment enluminé des œuvres de Christine, et qui dépassait tous les artistes de Paris dans l’art d'orner les livres avec des ornements en feuilles de vigne ou en paysages en arrière-plan, et qui vendait ses ouvrages très cher.
Au XVe siècle, des ateliers libres s'imposent ; sans commanditaires, ils fabriquent et mettent en vente, en publiant leurs catalogues, des manuscrits peu onéreux, avec de simples dessins coloriés à la plume. L'atelier le plus connu est celui de Diebold Lauber, dont on trouve la trace entre 1427 et 1567 à Haguenau. Des artistes renommés, au seuil de la Renaissance, se distinguent comme peintres de tableaux et d'enluminures, en dirigeant de puissants ateliers, tels Jan Van Eyck, Jean Fouquet ou Andrea Mantegna. Tandis que les particularités régionales de style s'effacent, la manière individuelle des artistes s'impose.
Types de livres
C'est surtout la littérature laïque de cour en langue vernaculaire qui fait l'objet d'enluminures depuis le XIIe siècle, en prenant place aux côtés des textes liturgiques en latin. Le seul genre laïc qui soit enluminé avec le plus grand luxe, avec des fonds d'or et des peintures opaques, est celui des chroniques. Les chroniques universelles unissent l'histoire et la littérature religieuse pour les laïcs. Dans le domaine de l'épopée, les ouvrages germanophones ne sont enluminés que tard, sans beaucoup d'ambition, tandis que la chanson de geste, notamment le cycle de Charlemagne, apparemment plus lié à l'écriture historique, est éditée en France de manière particulièrement luxueuse. Des manuscrits de prestige, sans aller cependant jusqu'au fond doré, apparaissent aussi pour des collections de cour dans le genre épique ou lyrique. Un exemple célèbre de ce genre de livre de compilation est le codex Manesse, réalisé vers 1330 à Zurich.
C'est surtout dans l'entourage des universités qu'apparaissent au XIIIe siècle les textes pratiques et spécialisés enluminés. À Bologne, ce sont les textes juridiques qui dominent. Dans ce domaine, on trouve aussi les bulles papales ou impériales, dont le plus célèbre exemple est la Bulle d'or de Charles IV enluminée sur commande de l'empereur Venceslas Ier en 1400. Une source juridique abondamment enluminée est le Miroir des Saxons par Eike von Repgow, ouvrage d'usage pratique et non académique.
Mais le manuscrit enluminé typique de la période gothique reste cependant le livre religieux, qui, contrairement aux époques précédentes, s'adresse avant tout à la piété privée des laïcs. Au XIIIe siècle, cela concerne surtout le psautier, lequel donne naissance plus tard au livre d'heures, qui devient le type de livre le plus enluminé. Dans le domaine de la piété laïque, on compte aussi des traductions de la Bible et les Biblia Pauperum (images bibliques commentées). Dans l'environnement universitaire et monacal, les enluminures sont utilisées en grand nombre pour des traités théologiques des Pères de l'Eglise, des grands mystiques et philosophes scolastiques, des vies de saints, ainsi que des auteurs de l’Antiquité grecque ou latine.
Influences artistiques
Tandis que l’enluminure romane s'inspire de la peinture murale, l'enluminure gothique prend ses inspirations avant tout dans l'art du vitrail, qui imprime sa marque caractéristique aux cathédrales gothiques. L'enluminure reprend immédiatement dans les miniatures les rouges et bleus brillants, du moins tant qu'il s'agit de peintures que l'on peut représenter avec une couleur opaque. L'adaptation du vitrail concerne surtout le dessin lui-même, les enrichissements dorés apportant leur luminosité à l'illustration.
L'influence du vitrail apparaît particulièrement nettement dans la bible moralisée française, qui nous est parvenue en quatorze manuscrits. Des scènes bibliques et leurs correspondants typologiques figurent en vis-à-vis dans des champs ronds. La disposition, mais aussi la coloration et le style, reflètent les vitraux en médaillon des cathédrales françaises.
Peu après, l'enluminure reprend aussi les éléments architecturaux entourant les vitraux, d'abord les meneaux, puis les gables (figures triangulaires), les pinacles, les rosaces, les pignons, les frises, les arcs trilobés qui rappellent ceux de la Sainte-Chapelle de Paris ou les grandes cathédrales gothiques. La coloration lumineuse donnée par les rouges, les bleus et l’or pourrait être une indication de l'ornementation colorée des cathédrales gothiques, que l'on peut reconstituer par des sources écrites, mais dont il ne reste que très peu de traces.
À partir de la seconde moitié du XIIe siècle, pour les ouvrages les plus simples, la forme de décoration la plus souvent utilisée est une ornementation des initiales à l'aide de fleurs et de rinceaux, confiée à un rubricateur, qui – surtout dans les ouvrages de qualité médiocre – se confond avec le copiste. Le style de ces ornementations permet la datation et la localisation des manuscrits, car aucune originalité ne s'impose pour ce travail répétitif.
Les scènes indépendantes, insérées dans les initiales historiées et les pieds de page grotesques, offrent un espace pour des représentations pleines de fantaisie, indépendantes du texte, et contribuent substantiellement à l'indivualisation de l'enluminure et à l'abandon progressif des images convenues et figées.
À la suite de la politique interrégionale de mariages des maisons princières européennes et de la mobilité croissante des artistes, il se forme, entre 1380 et 1420 environ, un langage de formes qui se répand dans toute l'Europe ; en raison de son caractère interrégional, il est appelé gothique international. Les caractéristiques de ce style sont les plis de vêtements et de chevelures tombant souplement, les corps minces avec des vêtements de cour resserrés et hauts de ceinture. En raison de la souplesse des lignes du dessin, on parle aussi de « style souple ».
Une caractéristique typique de l'enluminure gothique est la représentation de personnages à la mode du temps, dans le cadre d'une architecture gothique, même s'il s'agit de figurer des événements bibliques. Dès le XIIIe siècle, se multiplient les exemples de carnets d'esquisses, qui ne se confinent plus à la reproduction iconographique d'œuvres d'art préexistantes, mais contiennent des créations originales d'études sur la nature ou l’architecture. Un carnet d'esquisses célèbre est celui du Français Villard de Honnecourt, réalisé en 1235. Au seuil de la Renaissance, et s'inspirant du réalisme de l'art des Pays-Bas méridionaux, les représentations naturalistes dominent. Au cours du XIVe siècle, la perspective, les effets de profondeur et une anatomie réaliste des personnages s'imposent, en prélude à la Renaissance.
D'après Wikipédia